Nanon | Page 9

George Sand
jeune moine qui descendait le ravin et venait �� moi. Il ��tait tr��s propre dans sa robe neuve; il avait l'air content, il sautait hardiment de pierre en pierre. Il me parut le plus joli du monde.
Et pourtant il n'��tait pas beau, mon pauvre cher Franqueville; mais son air ��tait si bon, il avait des yeux si clairs et un visage si doux, que jamais sa figure n'a fait d��plaisir ou r��pugnance �� personne.
J'��tais bien surprise:
-- Comment donc, lui dis-je, avez-vous fait pour me trouver, et qui est-ce qui vous a dit mon nom?
-- Je te dirai cela tout �� l'heure, r��pondit-il. D��jeunons, j'ai grand'faim.
Et il tira de sa robe un petit panier o�� il y avait du pat�� et une bouteille contenant deux choses auxquelles je n'avais jamais go?t��, de la viande et du vin! Je me fis beaucoup prier pour manger de la viande. Moiti�� discr��tion, moiti�� m��fiance, je n'avais que du d��go?t pour cet aliment nouveau, que je trouvai pourtant bon; mais le vin me sembla d��testable et ma grimace fit beaucoup rire mon nouvel ami.
Tout en mangeant il m'apprit ce qui suit:
Il ne fallait plus l'appeler ni Monsieur, ni Franqueville; il ��tait d��sormais fr��re ��milien, ��milien ��tant son nom de bapt��me. Il avait demand�� �� l'��conome la permission de paturage pour Rosette et, �� sa grande surprise, il ne l'avait point obtenue. Le p��re Fructueux lui avait donn�� toute sorte de raisons qu'il n'avait pas comprises; mais, le voyant fach��, il lui avait permis de me donner �� manger quand il voudrait, et, sans se le faire dire deux fois, fr��re ��milien avait mis son d?ner dans un panier et s'��tait rendu �� la maison que je lui avais montr��e la veille. Il n'y avait trouv�� personne, mais une vieille femme qu'il rencontra, qu'il me d��crivit et en qui je reconnus la Mariotte, lui avait �� peu pr��s indiqu�� l'endroit o�� je devais ��tre, en lui disant que je m'appelais Nanette Surgeon. Il s'��tait bien dirig�� et paraissait ��tre habitu�� �� courir la montagne. En somme, c'��tait, comme je l'ai bien vu par la suite, un paysan plus qu'un monsieur. On ne lui avait rien appris, il s'��tait enseign�� lui-m��me. On ne lui avait point permis de suivre les chasses des autres gentilshommes, il s'��tait fait braconnier sur ses propres terres et il tuait bien adroitement des perdrix et des li��vres; mais, comme cela lui ��tait d��fendu, il les donnait aux paysans qui lui enseignaient les remises et lui gardaient le secret. Il avait appris avec eux �� nager, �� se tenir �� cheval, �� grimper aux arbres et m��me �� travailler comme eux, car il ��tait fort, quoique d'apparence assez ch��tive.
On peut croire que tout ce que je vais dire de lui pour faire conna?tre son caract��re et sa situation ne me fut pas dit ce jour- l�� et dans cet endroit-l��; je n'en eusse pas compris le quart, il m'a fallu des ann��es pour me rendre compte de ce que je r��sume ici.
��milien de Franqueville ��tait n�� intelligent et r��solu. Pour l'emp��cher de pr��tendre au premier rang dans la famille, on avait travaill�� �� tuer son ame et son esprit. Son fr��re n'��tait pas, �� ce qu'il para?t, aussi bien dou�� que lui, mais il ��tait l'a?n��, et, dans cette famille de Franqueville, tous les cadets avaient ��t�� dans les ordres. C'��tait une loi �� laquelle on n'avait jamais manqu�� et qui se transmettait de p��re en fils. Le marquis p��re d'��milien trouvait cela fort bien vu; c'��tait une mesure d'ordre qui rench��rissait sur la loi de l'��tat. Il disait que cela simplifiait les affaires d'h��ritage o�� les procureurs, en mettant le nez et en suscitant des proc��s, trouvaient toujours moyen de d��manteler la propri��t��. Un gar?on dot�� pour le clo?tre n'avait plus rien �� pr��tendre. Il n'avait pas de descendance, partant il ne laissait pas d'��l��ments de chicane pour l'avenir. Enfin c'��tait r��gl��, et le petit ��milien sut �� peine conna?tre sa main droite de sa main gauche, qu'on lui enseigna la chose sans lui permettre de la discuter.
On peut penser qu'il y eut en lui quelques r��voltes. Elles furent si vite et si bien ��touff��es, qu'il entra dans la vie d��j�� mort �� bien des choses et aussi na?f �� seize ans qu'un autre �� huit. On lui avait donn�� pour pr��cepteur une esp��ce d'idiot qui eut pour tout esprit celui de comprendre qu'il fallait tacher de rendre son ��l��ve idiot comme lui. N'en venant pas �� bout, car ��milien avait naturellement de l'esprit et du bon sens, il fit semblant de l'instruire et de le surveiller, tout en le laissant compl��tement �� lui-m��me. Aussi l'enfant savait-il �� peine lire et ��crire quand il vint au couvent; mais il avait beaucoup r��fl��chi et beaucoup raisonn�� �� sa guise, et il s'��tait refait
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