Monsieur Parent | Page 7

Guy de Maupassant
C'est Julie qui a battu papa!
Il r��pondit:--Oui, c'est Zulie.
Puis, passant soudain �� une autre id��e, elle reprit:--Mais il n'a pas d?n��, cet enfant-l��? Tu n'as rien mang��, mon ch��ri?
--Non, maman.
Alors elle se retourna, furieuse, vers son mari:--Tu es donc fou, archi-fou! Il est huit heures et demie et Georges n'a pas d?n��!
Il s'excusa, ��gar�� dans cette sc��ne et dans cette explication, ��cras�� sous cet ��croulement de sa vie.
--Mais, ma ch��re amie, nous t'attendions. Je ne voulais pas d?ner sans toi. Comme tu rentres tous les jours en retard, je pensais que tu allais revenir d'un moment �� l'autre.
Elle lan?a dans un fauteuil son chapeau, gard�� jusque-l�� sur sa t��te, et, la voix nerveuse:
--Vraiment, c'est intol��rable d'avoir affaire �� des gens qui ne comprennent rien, qui ne devinent rien, qui ne savent rien faire par eux-m��mes. Alors, si j'��tais rentr��e �� minuit, l'enfant n'aurait rien mang�� du tout. Comme si tu n'aurais pas pu comprendre, apr��s sept heures et demie pass��es, que j'avais eu un emp��chement, un retard, une entrave!...
Parent tremblait, sentant la col��re le gagner; mais Limousin s'interposa et, se tournant vers la jeune femme:
--Vous ��tes tout �� fait injuste, ma ch��re amie. Parent ne pouvait pas deviner que vous rentreriez si tard, ce qui ne vous arrive jamais; et puis, comment vouliez-vous qu'il se tirat d'affaire tout seul, apr��s avoir renvoy�� Julie?
Mais Henriette, exasp��r��e, r��pondit:--Il faudra pourtant bien qu'il se tire d'affaire, car je ne l'aiderai pas. Qu'il se d��brouille!
Et elle entra brusquement dans sa chambre, oubliant d��j�� que son fils n'avait point mang��.
Alors Limousin, tout �� coup, se multiplia pour aider son ami. Il ramassa et enleva les verres bris��s qui couvraient la table, remit le couvert et assit l'enfant sur son petit fauteuil �� grands pieds, pendant que Parent allait chercher la femme de chambre pour se faire servir par elle.
Elle arriva ��tonn��e, n'ayant rien entendu dans la chambre de Georges o�� elle travaillait.
Elle apporta la soupe, un gigot br?l��, puis des pommes de terre en pur��e.
Parent s'��tait assis �� c?t�� de son enfant, l'esprit en d��tresse, la raison emport��e dans cette catastrophe. Il faisait manger le petit, essayait de manger lui-m��me, coupait la viande, la machait et l'avalait avec effort, comme si sa gorge e?t ��t�� paralys��e.
Alors, peu �� peu, s'��veilla dans son ame un d��sir affol�� de regarder Limousin assis en face de lui et qui roulait des boulettes de pain. Il voulait voir s'il ressemblait �� Georges. Mais il n'osait pas lever les yeux. Il s'y d��cida pourtant, et consid��ra brusquement cette figure qu'il connaissait bien, quoiqu'il lui semblat ne l'avoir jamais examin��e, tant elle lui parut diff��rente de ce qu'il pensait. De seconde en seconde, il jetait un coup d'oeil rapide sur ce visage, cherchant �� en reconna?tre les moindres lignes, les moindres traits, les moindres sens; puis, aussit?t, il regardait son fils, en ayant l'air de le faire manger.
Deux mots ronflaient dans son oreille: ?Son p��re! son p��re! son p��re!? Ils bourdonnaient �� ses tempes avec chaque battement de son coeur. Oui, cet homme, cet homme tranquille, assis de l'autre c?t�� de cette table, ��tait peut-��tre le p��re de son fils, de Georges, de son petit Georges. Parent cessa de manger, il ne pouvait plus. Une douleur atroce, une de ces douleurs qui font hurler, se rouler par terre, mordre les meubles, lui d��chirait tout le dedans du corps. Il eut envie de prendre son couteau et de se l'enfoncer dans le ventre. Cela le soulagerait, le sauverait; ce serait fini.
Car pourrait-il vivre maintenant? Pourrait-il vivre, se lever le matin, manger aux repas, sortir par les rues, se coucher le soir et dormir la nuit avec cette pens��e vrill��e en lui: ?Limousin, le p��re de Georges!..? Non, il n'aurait plus la force de faire un pas, de s'habiller, de penser �� rien, de parler �� personne! Chaque jour, �� toute heure, �� toute seconde, il se demanderait cela, il chercherait �� savoir, �� deviner, �� surprendre cet horrible secret? Et le petit, son cher petit, il ne pourrait plus le voir sans endurer l'��pouvantable souffrance de ce doute, sans se sentir d��chir�� jusqu'aux entrailles, sans ��tre tortur�� jusqu'aux moelles de ses os. Il lui faudrait vivre ici, rester dans cette maison, �� c?t�� de cet enfant qu'il aimerait et ha?rait! Oui, il finirait par le ha?r assur��ment. Quel supplice! Oh! s'il ��tait certain que Limousin f?t le p��re, peut-��tre arriverait-il �� se calmer, �� s'endormir dans son malheur, dans sa douleur? Mais ne pas savoir ��tait intol��rable!
Ne pas savoir, chercher toujours, souffrir toujours, et embrasser cet enfant �� tout moment, l'enfant d'un autre, le promener dans la ville, le porter dans ses bras, sentir la caresse de ses fins cheveux sous les l��vres, l'adorer et penser sans cesse: ?Il n'est pas �� moi, peut-��tre?? Ne vaudrait-il pas mieux ne plus le voir,
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