qui m'ont été données, on me traiterait de bél?tre, de faquin et d'impudent dr?le... Par le saint nom de Dieu!... cela ne sera pas.
--Oh!... mon père!...
--Non, cela ne saurait être... Et je vois, moi, ce que tu ne peux pas voir, l'ignominie de la chute... Tu nous crois aimés à Sairmeuse?... tu te trompes. Nous avons été trop heureux pour ne pas être jalousés et ha?s. Que je tombe demain, et tu verras se jeter sur nous, pour nous déchirer, ceux qui aujourd'hui nous lèchent les mains...
Ses yeux brillèrent; il pensa qu'il venait de trouver un argument victorieux.
--Et toi-même, poursuivit-il, toi si entourée, tu conna?trais les horreurs du mépris... Tu éprouverais cette douleur épouvantable de voir s'éloigner de toi jusqu'à celui que ton coeur a choisi librement, entre tous!...
Il avait frappé juste, car les beaux yeux de Marie-Anne s'emplirent de larmes.
--Si vous disiez vrai, mon père, murmura-t-elle d'une voix altérée, je mourrais peut-être de douleur, mais il me faudrait bien reconna?tre que j'avais mal placé ma confiance et mon affection.
--Et tu t'obstines à me conseiller de rendre Sairmeuse?...
--L'honneur parle, mon père...
M. Lacheneur disloqua à demi, d'un coup de poing terrible, le meuble près duquel il se trouvait.
--Et si je m'entêtais, moi aussi, s'écria-t-il, si je gardais tout... que ferais-tu?
--Je me dirais, mon père, qu'une misère honnête vaut mieux qu'une fortune volée, je quitterais ce chateau, qui est au duc de Sairmeuse, et je chercherais une place de fille de ferme aux environs...
Cette terrible réponse atteignit M. Lacheneur comme un coup de massue. Il se laissa tomber sur un fauteuil en sanglotant... Il connaissait assez sa fille pour savoir que ce qu'elle disait elle le ferait.
Mais il était vaincu, sa fille l'emportait, il venait de se résoudre à l'héro?que sacrifice.
--Je restituerai Sairmeuse, balbutia-t-il... advienne que pourra...
Il s'interrompit, un visiteur lui arrivait.
C'était un tout jeune homme d'une vingtaine d'années, de tournure distinguée, à l'air mélancolique et doux.
Son regard, quand il entra dans le salon, ayant rencontré celui de Marie-Anne, il devint cramoisi, et la jeune fille se détourna à demi, rougissant jusqu'à la racine des cheveux.
--Monsieur, dit ce jeune homme, mon père m'envoie vous dire que le duc de Sairmeuse et son fils viennent d'arriver. Ils ont demandé l'hospitalité à M. le curé.
M. Lacheneur s'était levé, dissimulant mal son trouble affreux.
--Vous remercierez le baron d'Escorval de son attention, mon cher Maurice, répondit-il, j'aurai l'honneur de le voir aujourd'hui même, après une démarche bien grave que nous allons faire, ma fille et moi.
Le jeune d'Escorval avait vu, du premier coup d'oeil, que sa présence était importune, aussi ne resta-t-il que quelques instants.
Mais quand il se retira, Marie-Anne avait eu le temps de lui dire tout bas, et sans vouloir s'expliquer autrement:
--Je crois conna?tre votre coeur, Maurice, ce soir, je le conna?trai certainement.
III
Peu de gens à Sairmeuse connaissaient autrement que de nom ce terrible duc dont l'arrivée mettait le village en émoi.
C'est à peine si quelques anciens du pays se rappelaient l'avoir entrevu, autrefois, avant 89, lorsqu'il venait, à de longs intervalles, rendre visite à sa tante, la vieille demoiselle Armande.
Sa charge le retenait à la cour.
S'il n'avait pas donné signe de vie tant qu'avait duré l'Empire, c'est qu'il n'avait pas eu à subir les misères et les humiliations qui attendaient les émigrés dans l'exil.
Il y avait au contraire trouvé, en échange de la fortune délabrée que lui enlevait la Révolution, une fortune royale.
Réfugié à Londres après le licenciement de l'impuissante armée de Condé, il avait eu le bonheur de plaire à la fille unique d'un des plus riches pairs d'Angleterre, lord Holland, et il l'avait épousée.
Elle lui apportait en dot 250,000 livres sterling, plus de six millions de francs.
Cependant ce ménage ne fut pas heureux. Le compagnon des plaisirs trop faciles de M. le comte d'Artois, le gentilhomme qui avait prétendu reprendre sous Louis XVI les moeurs de la Régence, ne pouvait pas être un bon mari.
La jeune duchesse songeait à une séparation quand elle mourut en donnant le jour à un gar?on, qui fut baptisé sous les noms de Anne-Marie-Martial.
Cette mort ne désola pas le duc de Sairmeuse.
Il se retrouvait libre et plus riche qu'il ne l'avait jamais été.
Dès que les convenances le lui permirent, il confia son fils à une parente de sa femme et se remit à courir le monde.
La renommée disait vrai: Il s'était battu, et furieusement, contre la France, tant?t dans les rangs Autrichiens, tant?t dans les rangs Russes.
Et jarnibieu!--c'était un de ses jurons,--il ne s'en cachait guère, disant qu'en cela, il n'avait fait que strictement son devoir. Il estimait bien et loyalement gagné le grade de général que lui avait conféré sur le champ de bataille l'empereur de Russie.
On ne l'avait pas vu, lors de la première Restauration, mais son absence avait été bien involontaire. Son beau-père, lord Holland, venait de mourir, et il avait été retenu
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