présence du duc de Sairmeuse à Montignac!... Qu'il reste à l'_H?tel de France_ tant qu'il s'y trouvera bien, nous n'irons pas l'y chercher.
--Non!... nous n'irons pas l'y quérir, approuvèrent les paysans.
Le vieux maraudeur hocha la tête d'un air d'hypocrite pitié.
--C'est une peine que monsieur le duc ne vous donnera pas, dit-il; avant deux heures il sera ici.
--Comment le savez-vous?
--Je le sais par M. Laugeron, qui m'a dit, lorsque j'ai enfourché son bidet: ?Surtout, vieux, explique bien à mon ami Lacheneur que le duc a commandé pour onze heures les chevaux de poste qui doivent le conduire à Sairmeuse.?
D'un commun mouvement tous les paysans qui avaient une montre la consultèrent.
--Et que vient-il chercher ici? demanda le jeune métayer.
--Pardienne!... il ne me l'a pas dit, répondit le maraudeur; mais il n'y a pas besoin d'être malin pour le deviner. Il vient visiter ses anciens domaines et les reprendre à ceux qui les ont achetés. A toi, Rousselet, il réclamera les prés de l'Oiselle qui donnent toujours deux coupes; à vous, père Gauchais, les pièces de terre de la Croix-Br?lée; à vous, Chanlouineau les vignes de la Borderie....
Chanlouineau, c'était ce beau gars qui deux fois déjà avait interrompu le père Chupin.
--Nous réclamer la Borderie!... s'écria-t-il avec une violence inou?e, qu'il s'en avise ... et nous verrons. C'était un terrain maudit, quand mon père l'a acheté, il n'y poussait que des ajoncs et une chèvre n'y e?t pas trouvé sa pature... Nous l'avons épierré pierre à pierre, nous avons usé nos ongles à gratter le gravier, nous l'avons engraissé de notre sueur, et on nous le reprendrait!... Ah!... on me tirerait avant ma dernière goutte de sang.
--Je ne dis pas, mais....
--Mais quoi?... Est-ce notre faute à nous, si les nobles se sont sauvés à l'étranger? Nous n'avons pas volé leurs biens, n'est-ce pas? La nation les a mis en vente, nous les avons achetés et payés, nos actes sont en règle, la loi est pour nous.
--C'est vrai. Mais M. de Sairmeuse est le grand ami du roi...
Personne alors, sur la place de l'église, ne s'occupait de ce jeune soldat dont la voix, l'instant d'avant, faisait vibrer les plus nobles sentiments.
La France envahie, l'ennemi mena?ant, tout était oublié. Le tout-puissant instinct de la propriété avait parlé.
--M'est avis, reprit Chanlouineau, que nous ferions bien d'aller consulter M. le baron d'Escorval.
--Oui, oui!... s'écrièrent les paysans, allons!
Ils se mettaient en route, quand un homme du village même, qui lisait quelquefois les gazettes, les arrêta.
--Prenez garde à ce que vous allez faire, pronon?at-il. Ne savez-vous donc pas que depuis le retour des Bourbons, M. d'Escorval n'est plus rien?... Fouché l'a couché sur ses listes de proscription, il est ici en exil et la police le surveille.
A cette seule objection, tout l'enthousiasme tomba.
--C'est pourtant vrai, murmurèrent plusieurs vieux, une visite à M. d'Escorval nous ferait, peut-être, bien du tort.... Et d'ailleurs, quel conseil nous donnerait-il?
Seul Chanlouineau avait oublié toute prudence.
--Qu'importe!... s'écria-t-il. Si M. d'Escorval n'a pas de conseil à nous donner, il peut toujours se mettre à notre tête et nous apprendre comment on résiste et comment on se défend.
Depuis un moment, le père Chupin étudiait d'un oeil impassible ce grand décha?nement de colères. Au fond du coeur, il ressentait quelque chose de la monstrueuse satisfaction de l'incendiaire à la vue des flammes qu'il a allumées.
Peut-être avait-il déjà le pressentiment du r?le ignoble qu'il devait jouer quelques mois plus tard.
Mais, pour l'instant, satisfait de l'épreuve, il se posa en modérateur.
--Attendez donc, pour crier, qu'on vous écorche, pronon?a-t-il d'un ton ironique. Ne voyez-vous pas que j'ai tout mis au pis. Qui vous dit que le duc de Sairmeuse s'inquiétera de vous? Qu'avez-vous de ses anciens domaines, entre vous tous? Presque rien. Quelques laudes, des patures et le coteau de la Borderie.... Tout cela autrefois ne rapportait pas cinq cents pistoles par an....
--?a, c'est vrai, approuva Chanlouineau, et si le revenu que vous dites a quadruplé, c'est que ces terres sont entre les mains de plus de quarante propriétaires qui les cultivent eux-mêmes.
--Raison de plus pour que le duc n'en souffle mot; il ne voudra pas se mettre tout le pays à dos. Dans mon idée, il ne s'en prendra qu'à un seul des possesseurs de ses biens, à notre ancien maire, à M. Lacheneur, enfin.
Ah! il connaissait bien le féroce égo?sme de ses compatriotes, le vieux misérable. Il savait de quel coeur et avec quel ensemble on accepterait une victime expiatoire dont le sacrifice serait le salut de tous.
--Il est de fait, objecta un vieux, que M. Lacheneur possède presque tout le domaine de Sairmeuse.
--Dites tout, allez, pendant que vous y êtes, reprit le père Chupin. Où demeure M. Lacheneur? Dans ce beau chateau de Sairmeuse dont nous voyons d'ici les girouettes à travers les arbres. Il chasse dans les bois des ducs de Sairmeuse, il pêche dans leurs étangs, il
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