Monsieur Lecoq, vol 1, Lenquete | Page 8

Emile Gaboriau
dormir.
Au fait que lui importait!... Il avait tant vu en sa vie de sc��nes pareilles! L'habitude n'am��ne-t-elle pas fatalement l'indiff��rence professionnelle, prodigieux ph��nom��ne qui donne au soldat le sang-froid au milieu de la m��l��e, au chirurgien l'impassibilit�� quand le patient hurle et se tord sous son bistouri.
--Je suis all�� l��-haut jeter un coup d'oeil, poursuivit le bonhomme, j'ai vu un lit, chacun de nous montera la garde �� son tour....
D'un geste imp��rieux, Lecoq l'interrompit.
--Rayez cela de vos papiers, p��re Absinthe, d��clara-t-il, nous ne sommes pas ici pour flaner, mais bien pour commencer l'information, pour nous livrer aux plus minutieuses recherches et tacher de recueillir des indices... Dans quelques heures arriveront le commissaire de police, le m��decin, le juge d'instruction... je veux avoir un rapport �� leur pr��senter.
Cette proposition parut r��volter le vieil agent.
--Eh! �� quoi bon!... s'��cria-t-il. Je connais le G��n��ral. Quand il va chercher le commissaire, comme ce soir, c'est qu'il est s?r qu'il n'y a rien �� faire. Penses-tu voir quelque chose o�� il n'a rien vu?...
--Je pense que G��vrol peut se tromper comme tout le monde. Je crois qu'il s'est fi�� trop l��g��rement �� ce qui lui a sembl�� l'��vidence; je jurerais que cette affaire n'est pas ce qu'elle para?t ��tre; je suis s?r que, si vous le voulez, nous d��couvrirons ce que cachent les apparences.
Si grande que fut la v��h��mence du jeune policier, elle toucha si peu le vieux, qu'il bailla �� se d��crocher la machoire en disant:
--Tu as peut-��tre raison, mais moi je monte me jeter sur le lit. Que cela ne t'emp��che pas de chercher; si tu trouves, tu m'��veilleras.
Lecoq ne donna aucun signe d'impatience et m��me, en r��alit��, il ne s'impatientait pas. C'��tait une ��preuve qu'il tentait.
--Vous m'accorderez bien un moment, reprit-il. En cinq minutes, montre en main, je me charge de vous faire toucher du doigt le myst��re que je soup?onne.
--Va pour cinq minutes.
--Du reste, vous ��tes libre, papa. Seulement, il est clair que, si j'agis seul, j'empocherai seul la gratification que vaudrait infailliblement une d��couverte.
A ce mot gratification, le vieux policier dressa l'oreille. Il eut l'��blouissante vision d'un nombre infini de bouteilles de la liqueur verte dont il portait le nom.
--Persuade-moi donc, dit-il, en s'asseyant sur un tabouret qu'il avait relev��.
Lecoq resta debout devant lui, bien en face.
--Pour commencer, interrogea-t-il, qu'est-ce, �� votre avis, que cet individu que nous avons arr��t��?
--Un d��chargeur de bateaux, probablement, ou un ravageur.
--C'est-��-dire un homme appartenant aux plus humbles conditions de la soci��t��, n'ayant en cons��quence re?u aucune ��ducation.
--Justement.
C'est les yeux sur les yeux de son compagnon, que Lecoq parlait. Il se d��fiait de soi comme tous les gens d'un m��rite r��el, et il s'��tait dit que s'il r��ussissait �� faire p��n��trer ses convictions dans l'esprit obtus de ce vieil ent��t��, il serait assur�� de leur justesse.
--Eh bien!... continua-t-il, que me r��pondrez-vous si je vous prouve que cet individu a re?u une ��ducation distingu��e, raffin��e m��me?...
--Je r��pondrai que c'est bien extraordinaire, je r��pondrai ... mais b��te que je suis, tu ne me prouveras jamais cela.
--Si, et tr��s-facilement. Vous souvenez-vous des paroles qu'il a prononc��es en tombant, quand je l'ai pouss��?
--Je les ai encore dans l'oreille. Il a dit: ?C'est les Prussiens qui arrivent!?
--Vous doutez-vous de ce qu'il voulait dire?
--Quelle question!... J'ai bien compris qu'il n'aime pas les Prussiens et qu'il a cru nous adresser une grosse injure.
Lecoq attendait cette r��ponse.
--Eh bien!... p��re Absinthe, d��clara-t-il gravement, vous n'y ��tes pas, oh! mais l��, pas du tout. Et la preuve que cet homme a une ��ducation bien sup��rieure �� sa condition apparente, c'est que vous, un vieux rou��, vous n'avez saisi ni son intention, ni sa pens��e. C'est cette phrase qui a ��t�� pour moi le trait de lumi��re.
La physionomie du p��re Absinthe exprimait cette ��trange et comique perplexit�� de l'homme qui, flairant une mystification, se demande s'il doit rire ou se facher. R��flexions faites, il se facha.
--Tu es un peu jeune, commen?a-t-il, pour faire poser un vieux comme moi. Je n'aime pas beaucoup les blagueurs....
--Un instant!... interrompit Lecoq, je m'explique. Vous n'��tes pas sans avoir entendu parler d'une terrible bataille qui a ��t�� un des plus affreux d��sastres de la France, la bataille de Waterloo?....
--Je ne vois pas quel rapport....
--R��pondez toujours.
--Alors ... oui!
--Bien! Vous devez, en ce cas, papa, savoir que la victoire pencha d'abord du c?t�� de la France. Les Anglais commen?aient �� faiblir, et d��j�� l'Empereur s'��criait: ?Nous les tenons!? quand, tout �� coup, sur la droite, un peu en arri��re, on d��couvrit des troupes qui s'avan?aient. C'��tait l'arm��e Prussienne. La bataille de Waterloo ��tait perdue!
De sa vie, le digne Absinthe n'avait fait d'aussi grands efforts de compr��hension. Ils ne furent pas inutiles, car il se dressa �� demi, et du ton dont Archim��de dut crier: ?J'ai trouv��!? il s'��cria:
--J'y suis!... Les paroles de l'homme ��taient une allusion.
--C'est vous qui l'avez dit, approuva Lecoq. Mais
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