Monsieur Lecoq, vol 1, Lenquete | Page 6

Emile Gaboriau
vingt-cinq �� vingt-six ans, presque imberbe, pale, avec la l��vre rouge et d'abondants cheveux noirs ond��s. Il ��tait un peu petit, mais bien pris, et ses moindres mouvements trahissaient une vigueur peu commune.
En lui, d'ailleurs, rien de remarquable, sinon l'oeil, qui selon sa volont��, ��tincelait ou s'��teignait comme le feu d'un phare �� ��clipses, et le nez, dont les ailes larges et charnues avaient une surprenante mobilit��.
Fils d'une riche et honorable famille de Normandie, Lecoq avait re?u une bonne et solide ��ducation.
Il commen?ait son droit �� Paris, quand dans la m��me semaine, coup sur coup, il apprit que son p��re, compl��tement ruin��, venait de mourir, et que sa m��re ne lui avait surv��cu que quelques heures.
D��sormais il ��tait seul au monde, sans ressources..., et il fallait vivre. Il put appr��cier sa juste valeur; elle ��tait nulle.
L'Universit��, avec le dipl?me de bachelier, ne donne pas de brevet de rentes viag��res. C'est une lacune. A quoi servait �� l'orphelin sa science du lyc��e?
Il envia le sort de ceux qui, ayant un ��tat au bout des bras, peuvent entrer hardiment chez le premier patron venu et dire: Je voudrais de l'ouvrage.
Ceux-l�� travaillent et mangent.
Lui, demanda du pain �� tous les m��tiers qui sont le lot des d��class��s. M��tiers ingrats!... Il y a cent mille d��class��s �� Paris.
N'importe!... Il fit preuve d'��nergie. Il donna des le?ons et copia des r?les pour un avou��. Un jour, il d��buta dans la nouveaut��; le mois suivant, il allait proposer �� domicile des rossignols de librairie. Il fut courtier d'annonces, ma?tre d'��tudes, d��nicheur d'assurances, placier �� la commission....
En dernier lieu, il avait obtenu un emploi pr��s d'un astronome dont le nom est une autorit��, le baron Moser. Il passait ses journ��es �� remettre au net des calculs vertigineux, �� raison de cent francs par mois.
Mais le d��couragement arrivait. Apr��s cinq ans, il se trouvait au m��me point. Il ��tait pris d'acc��s de rage quand il r��capitulait les esp��rances avort��es, les tentatives vaines, les affronts endur��s.
Le pass�� avait ��t�� triste, le pr��sent ��tait presque intol��rable, l'avenir mena?ait d'��tre affreux.
Condamn�� �� de perp��tuelles privations, il essayait du moins d'��chapper aux d��go?ts de la r��alit�� en se r��fugiant dans le r��ve.
Seul en son taudis, apr��s un ��coeurant labeur, poign�� par les mille convoitises de la jeunesse, il songeait aux moyens de s'enrichir d'un coup, du soir au lendemain.
Sur cette pente, son imagination devait aller loin. Il n'avait pas tard�� �� admettre les pires exp��dients.
Mais �� mesure qu'il s'abandonnait �� ses chim��res, il d��couvrait en lui de singuli��res facult��s d'invention et comme l'instinct du mal. Les vols les plus audacieux et r��put��s les plus habiles, n'��taient, �� son jugement, que d'insignes maladresses.
Il se disait que s'il voulait, lui!... Et alors il cherchait, et il trouvait des combinaisons ��tranges, qui assuraient le succ��s et garantissaient math��matiquement l'impunit��. Bient?t, ce fut chez lui une manie, un d��lire. Au point que ce gar?on, admirablement honn��te, passait sa vie �� perp��trer, par la pens��e, les plus abominables m��faits. Tant, que lui-m��me s'effraya de ce jeu. Il ne fallait qu'une heure d'��garement pour passer de l'id��e au fait, de la th��orie �� la pratique.
Puis, ainsi qu'il advient �� tous les monomanes, l'heure sonna o�� les bizarres conceptions qui emplissaient sa cervelle d��bord��rent.
Un jour, il ne put s'emp��cher d'exposer �� son patron un petit plan qu'il avait con?u et m?ri, et qui e?t permis de rafler cinq ou six cent mille francs sur les places de Londres et de Paris. Deux lettres et une d��p��che t��l��graphique, et le tour ��tait jou��. Et impossible d'��chouer, et pas un soup?on �� craindre.
L'astronome, stup��fait de la simplicit�� du moyen, admira. Mais, �� la r��flexion, il jugea peu prudent de garder pr��s de soi un secr��taire si ing��nieux.
C'est pourquoi, le lendemain, il lui remit un mois d'appointements et le cong��dia en lui disant:
--Quand on a vos dispositions et, qu'on est pauvre, on devient un voleur fameux ou un illustre policier. Choisissez.
Lecoq se retira confus, mais la phrase de l'astronome devait germer dans son esprit.
--Au fait, se disait-il, pourquoi ne pas suivre un bon conseil?
La police ne lui inspirait aucune r��pugnance, loin de l��. Souvent il avait admir�� cette myst��rieuse puissance dont la volont�� est rue de J��rusalem et la main partout; qu'on ne voit ni n'entend, et qui n��anmoins entend et voit tout.
Il fut s��duit par la perspective d'��tre l'instrument de cette Providence au petit pied. Il entrevit un utile et honorable emploi du g��nie particulier qui lui avait ��t�� d��parti, une existence d'��motions et de luttes passionn��es, des aventures inou?es, et au bout la c��l��brit��.
Bref, la vocation l'emportait.
Si bien que la semaine suivante, grace �� une lettre de recommandation du baron Moser, il ��tait admis �� la Pr��fecture, en qualit�� d'auxiliaire du service de la s?ret��.
Un d��senchantement assez cruel l'attendait �� ses d��buts. Il avait vu les r��sultats, non les moyens.
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