de ses recherches.
Mademoiselle Zoé l'écoutait sans trouble. Elle était bien résolue à
chercher et à trouver elle-même. Elle tenait son frère pour un homme
supérieur, mais incapable d'une idée raisonnable dans la pratique de la
vie.
--J'ai visité un logement sur le quai Conti. Je ne sais ce que vous en
penserez toutes deux. On y a vue sur une cour, avec un puits, du lierre
et une statue de Flore, moussue et mutilée, qui n'a plus de tête et qui
continue à tresser une guirlande de roses. J'ai visité aussi un petit
appartement rue de la Chaise; il donne sur un jardin, où il y a un grand
tilleul, dont une branche, quand les feuilles auront poussé, entrera dans
mon cabinet. Pauline aura une grande chambre, qu'il ne tiendra qu'à elle
de rendre charmante avec quelques mètres de cretonne à fleurs.
--Et ma chambre? demanda mademoiselle Zoé. Tu ne t'occupes jamais
de ma chambre. D'ailleurs...
Elle n'acheva pas, tenant peu de compte du rapport que lui faisait son
frère.
--Peut-être serons-nous obligés de nous loger dans une maison neuve,
dit M. Bergeret, qui était sage et accoutumé à soumettre ses désirs à la
raison.
--Je le crains, papa, dit Pauline. Mais sois tranquille, nous te trouverons
un petit arbre qui montera à ta fenêtre; je te promets.
Elle suivait ces recherches avec bonne humeur, sans s'y intéresser
beaucoup pour elle-même, comme une jeune fille que le changement
n'effraye point, qui sent confusément que sa destinée n'est pas fixée
encore et qui vit dans une sorte d'attente.
--Les maisons neuves, reprit M. Bergeret, sont mieux aménagées que
les vieilles. Mais je ne les aime pas, peut-être parce que j'y sens mieux,
dans un luxe qu'on peut mesurer, la vulgarité d'une vie étroite. Non pas
que je souffre, même pour vous, de la médiocrité de mon état. C'est le
banal et le commun qui me déplaît.... Vous allez me trouver absurde.
--Oh! non, papa.
--Dans la maison neuve, ce qui m'est odieux, c'est l'exactitude des
dispositions correspondantes, cette structure trop apparente des
logements qui se voit du dehors. Il y a longtemps que les citadins
vivent les uns sur les autres. Et puisque ta tante ne veut pas entendre
parler d'une maisonnette dans la banlieue, je veux bien m'accommoder
d'un troisième ou d'un quatrième étage, et c'est pourquoi je ne renonce
qu'à regret aux vieilles maisons. L'irrégularité de celles-là rend plus
supportable l'empilement. En passant dans une rue nouvelle, je me
surprends à considérer que cette superposition de ménages est, dans les
bâtisses récentes, d'une régularité qui la rend ridicule. Ces petites salles
à manger, posées l'une sur l'autre avec le même petit vitrage, et dont les
suspensions de cuivre s'allument à la même heure; ces cuisines, très
petites, avec le garde-manger sur la cour et des bonnes très sales, et les
salons avec leur piano chacun l'un sur l'autre, la maison neuve enfin me
découvre, par la précision de sa structure, les fonctions quotidiennes
des êtres qu'elle renferme, aussi clairement que si les planchers étaient
de verre; et ces gens qui dînent l'un sous l'autre, jouent du piano l'un
sous l'autre, se couchent l'un sous l'autre, avec symétrie, composent,
quand on y pense, un spectacle d'un comique humiliant.
--Les locataires n'y songent guère, dit mademoiselle Zoé, qui était bien
décidée à s'établir dans une maison neuve.
--C'est vrai, dit Pauline pensive, c'est vrai que c'est comique.
--Je trouve bien, çà et là, des appartements qui me plaisent, reprit M.
Bergeret. Mais le loyer en est d'un prix trop élevé. Cette expérience me
fait douter de la vérité d'un principe établi par un homme admirable,
Fourier, qui assurait que la diversité des goûts est telle, que les taudis
seraient recherchés autant que les palais, si nous étions en harmonie. Il
est vrai que nous ne sommes pas en harmonie. Car alors nous aurions
tous une queue prenante pour nous suspendre aux arbres. Fourier l'a
expressément annoncé. Un homme d'une bonté égale, le doux prince
Kropotkine, nous a assuré plus récemment que nous aurions un jour
pour rien les hôtels des grandes avenues, que leurs propriétaires
abandonneront quand ils ne trouveront plus de serviteurs pour les
entretenir. Ils se feront alors une joie, dit ce bienveillant prince, de les
donner aux bonnes femmes du peuple qui ne craindront pas d'avoir une
cuisine en sous-sol. En attendant, la question du logement est ardue et
difficile. Zoé, fais-moi le plaisir d'aller voir cet appartement du quai
Conti, dont je t'ai parlé. Il est assez délabré, ayant servi trente ans de
dépôt à un fabricant de produits chimiques. Le propriétaire n'y veut pas
faire de réparations, pensant le louer comme magasin. Les fenêtres sont
à tabatière. Mais on voit de ces fenêtres un mur de lierre, un puits
moussu, et une statue de Flore, sans tête
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