Monsieur Bergeret à Paris | Page 4

Anatole France
Il ne se sentait point encouragé,
et même, à n'en point douter, il était combattu. Mademoiselle Zoé lui
avait dit sèchement: «Tais-toi donc!» Et mademoiselle Pauline avait
ajouté: «Riquet, tu es ridicule!» Renonçant désormais à donner des
avertissements inutiles et à lutter seul pour le bien commun, il déplorait
en silence les ruines de la maison et cherchait vainement de chambre en
chambre un peu de tranquillité. Quand les déménageurs pénétraient
dans la pièce où il s'était réfugié, il se cachait par prudence sous une
table ou sous une commode, qui demeuraient encore. Mais cette
précaution lui était plus nuisible qu'utile, car bientôt le meuble
s'ébranlait sur lui, se soulevait, retombait en grondant et menaçait de
l'écraser. Il fuyait, hagard et le poil rebroussé, et gagnait un autre abri,
qui n'était pas plus sûr que le premier.
Et ces incommodités, ces périls même, étaient peu de chose auprès des
peines qu'endurait son coeur. En lui, c'est le moral, comme on dit, qui
était le plus affecté.
Les meubles de l'appartement lui représentaient non des choses inertes,
mais des êtres animés et bienveillants, des génies favorables, dont le
départ présageait de cruels malheurs. Plats, sucriers, poêlons et
casseroles, toutes les divinités de la cuisine; fauteuils, tapis, coussins,
tous les fétiches du foyer, ses lares et ses dieux domestiques, s'en
étaient allés. Il ne croyait pas qu'un si grand désastre pût jamais être
réparé. Et il en recevait autant de chagrin qu'en pouvait contenir sa
petite âme. Heureusement que, semblable à l'âme humaine, elle était
facile à distraire et prompte à l'oubli des maux. Durant les longues
absences des déménageurs altérés, quand le balai de la vieille
Angélique soulevait l'antique poussière du parquet, Riquet respirait une
odeur de souris, épiait la fuite d'une araignée, et sa pensée légère en

était divertie. Mais il retombait bientôt dans la tristesse.
Le jour du départ, voyant les choses empirer d'heure en heure, il se
désola. Il lui parut spécialement funeste qu'on empilât le linge dans de
sombres caisses. Pauline, avec un empressement joyeux, faisait sa
malle. Il se détourna d'elle comme si elle accomplissait une oeuvre
mauvaise. Et, rencogné au mur, il pensait: «Voilà le pire! C'est la fin de
tout!» Et, soit qu'il crût que les choses n'étaient plus quand il ne les
voyait plus, soit qu'il évitât seulement un pénible spectacle, il prit soin
de ne pas regarder du côté de Pauline. Le hasard voulut qu'en allant et
venant, elle remarquât l'attitude de Riquet. Cette attitude, qui était triste,
elle la trouva comique et elle se mit à rire. Et, en riant, elle l'appela:
«Viens! Riquet, viens!» Mais il ne bougea pas de son coin et ne tourna
pas la tête. Il n'avait pas en ce moment le coeur à caresser sa jeune
maîtresse et, par un secret instinct, par une sorte de pressentiment, il
craignait d'approcher de la malle béante. Pauline l'appela plusieurs fois.
Et, comme il ne répondait pas, elle l'alla prendre et le souleva dans ses
bras. «Qu'on est donc malheureux! lui dit-elle; qu'on est donc à
plaindre!» Son ton était ironique. Riquet ne comprenait pas l'ironie. Il
restait inerte et morne dans les bras de Pauline, et il affectait de ne rien
voir et de ne rien entendre. «Riquet, regarde-moi!» Elle fit trois fois
cette objurgation et la fit trois fois en vain. Après quoi, simulant une
violente colère: «Stupide animal, disparais», et elle le jeta dans la malle,
dont elle renversa le couvercle sur lui. A ce moment sa tante l'ayant
appelée, elle sortit de la chambre, laissant Riquet dans la malle.
Il y éprouvait de vives inquiétudes. Il était à mille lieues de supposer
qu'il avait été mis dans ce coffre par simple jeu et par badinage.
Estimant que sa situation était déjà assez fâcheuse, il s'efforça de ne
point l'aggraver par des démarches inconsidérées. Aussi demeura-t-il
quelques instants immobile, sans souffler. Puis, ne se sentant plus
menacé d'une nouvelle disgrâce, il jugea nécessaire d'explorer sa prison
ténébreuse. Il tâta avec ses pattes les jupons et les chemises sur lesquels
il avait été si misérablement précipité, et il chercha quelque issue pour
s'échapper. Il s'y appliquait depuis deux ou trois minutes quand M.
Bergeret, qui s'apprêtait à sortir, l'appela:
--Viens, Riquet, viens! Nous allons faire nos adieux à Paillot, le
libraire.... Viens! Où es-tu?...
La voix de M. Bergeret apporta à Riquet un grand réconfort. Il y

répondait par le bruit de ses pattes qui, dans la malle, grattaient
éperdument la paroi d'osier.
--Où est donc le chien? demanda M. Bergeret à Pauline, qui revenait
portant une pile de linge.
--Papa, il est dans la malle.
--Pourquoi est-il dans la malle?
--Parce que je l'y ai mis, papa.
M. Bergeret s'approcha de la malle et dit:
--Ainsi l'enfant Comatas, qui soufflait dans sa flûte en gardant les
chèvres de
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