Mon amie Nane | Page 9

Paul Jean Toulet
peu vendu des terres, elle n'avait rien marqu��. Frivole, nonchalante, d'une na?vet�� un peu hautaine, il ne semblait pas qu'aucun chagrin p?t alt��rer la bienveillance dont elle regardait la vie; et son plus grave caprice aujourd'hui ��tait de jouer �� la douairi��re, se coiffant de dentelle et r��clamant des petits-enfants �� tout prix.
Le prix lui aurait paru peut-��tre un peu haut, si elle avait pu concevoir que l'amour n'entrait pour rien, et au contraire, dans la recherche que fit Jacques de la belle Mlle Blokh-Rosenbuisson, et qu'il n'y pr��tendait ��pouser autre chose qu'une fortune d'ailleurs mal acquise. Car M. Blokh en avait autrefois gagn�� le noyau en fournissant �� l'arm��e russe des riz dont l'empire des Indes lui-m��me aurait refus�� de nourrir ses administr��s en temps de famine; et m��me cela lui avait valu, au front de ces troupes qu'il avait failli affamer, une promenade du matin, en pyjama, et dont un knout rythmait l'allure. Paris, toujours ouvert aux martyrs de la politique, fit le meilleur accueil �� ce fournisseur battu, comme �� ses ��conomies. Mais parmi les Fran?ais qui montr��rent le plus de cette hospitalit�� qui est une de nos graces nationales, notre homme distingua surtout M. Rosenbusch, dit Rosenbuisson, jadis son coreligionnaire, et r��cemment converti au protestantisme par un groupe de libres-penseurs. Il poussa la sympathie jusqu'�� en ��pouser la fille, ayant, du reste, peu de temps apr��s son arriv��e, trouv��, lui aussi, son chemin de Gen��ve; et, issue de tout cela, Georgette Blokh-Rosenbuisson faisait aujourd'hui une chr��tienne tr��s sortable, qui d��daignait sans doute le Talmud de Babylone ainsi que les crimes rituels, n'ayant gard�� de ses anc��tres que l'habitude att��nu��e mais facheuse de se gratter hors de propos. Elle ��tait enfin d'une beaut�� extr��me, comme d'une extr��me impudence.
Ce mariage, d��s qu'elle y songea, lui plut. Tr��s fine et parisienne, sinon Fran?aise, elle ��grenait autour d'elle, depuis son enfance, tout un chapelet de parents et d'amis qui la d��go?taient un peu. Il lui parut qu'une couronne de marquise, un chateau poitevin, un vieil h?tel rue de Bellechasse devaient, avec Dieu, suffire �� la garder des siens; et il n'��tait pas d��sagr��able d'acheter le marquis avec, quand c'��tait comme celui-ci un beau gars, un peu massif, mais d'une vigueur ��l��gante.
Elle sentait bien qu'il ne l'aimait pas, qu'il en ��tait tr��s loin, au del�� m��me de l'indiff��rence; et elle ��tait assez p��n��trante pour d��m��ler sous sa politesse quelque chose qui ressemblait plut?t �� de l'aversion. Mais ne pouvait-elle pas le conqu��rir plus tard? Son imagination, d��j�� avertie, lui faisait voir, dans un corps aussi magnifiquement ordonn�� que le sien pour l'oeuvre de la chair, les conditions secr��tes d'un plaisir assez puissant pour faire oublier le bonheur.
Il y avait un motif moins pur encore aux projets de Georgette, et qui en dit trop long sur certaines vierges modernes pour ne le pas d��voiler. C'est qu'une de ses amies, plus ag��e qu'elle et mari��e, ayant pris, pendant quelques mois, Jacques pour amant, avait eu l'indiscr��tion inusit��e de venir le conter �� la jeune fille: peu �� peu elle avait fini par lui d��crire tout le particulier de cette liaison, avec des d��tails tels que Georgette ne s'y plaisait pas toujours sans rougir. Il lui en resta du go?t pour l'homme que sa pens��e avait si souvent d��v��tu, et comme des droits sur cette chair qu'elle n'e?t pas mieux connue pour l'avoir press��e en tous sens de ses propres mains.
Quand Jacques se fut enfin d��cid�� �� sauter le pas, il ne resta plus qu'une difficult��, celle de religion, et qui se trouva l��g��re. Georgette en effet n'h��sita pas �� pousser jusqu'au bout la conversion de sa famille, en sorte que Mme d'Iscamps n'opposa plus de r��sistance. D'ailleurs, pour le peu qu'elle l'avait vue, elle aimait presque Georgette et se r��jouissait que cette ame de prix revint au giron de Rome. Jacques, d'autre part, lui avait jur�� que son bonheur d��pendait de ce mariage; et peut-��tre firent-ils bien de ne pas chercher �� s'entendre trop exactement sur le sens du mot bonheur.
--Il me suffit, dit-elle, non sans dignit��, d'��tre s?re que tu l'as choisie droite, au physique comme au moral.
Jacques songea avec un peu de m��lancolie �� la devise qui ��tait la sienne: Droit! et qui fut donn��e par saint Louis �� Hugue Poitevin d'Iscamps, gu��ri par miracle apr��s avoir ��t�� laiss�� pour mort dans les sables de la Mansoure. Interrog�� pourquoi il s'��tait mis si avant parmi les Sarrasins sans retourner, il r��pondit qu'on ne lui avait pas enseign�� �� faire virer son cheval.
--Moi, c'est les autos, pensa Jacques.
Son mariage d��cid��ment le laissait sans enthousiasme. Pour comble, il pr��voyait, c?t�� beau-p��re, des marchandages r��pugnants: l'homme l'��tait d��j��, avec sa mine de chien qui se rappelle le fouet. Car il n'appartenait pas �� la vari��t�� triomphante des Blokh, ayant l'air d'un cambrioleur qui vient
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