Micah Clarke - Tome III | Page 9

Arthur Conan Doyle
jusque-là.
--Hé, Masterton, cria le baronnet, apercevant un de ses sous-officiers
dans un groupe qui se contentait de regarder, sans aider ni empêcher les
émeutiers. Courez au quartier et dites à Barker de former la compagnie,
la mèche allumée. Je puis être de quelque utilité ici.
--Ah! voici Buyse, s'écria joyeusement Saxon, en voyant le colosse
allemand se frayer passage à travers la foule, et, Lord Grey aussi. Il faut
que nous sauvions la cathédrale, mylord. Ils la mettraient à sac et la
brûleraient.
--Par ici, gentilshommes, s'écria un homme âgé, aux cheveux gris, qui
accourait à nous les bras tendus, un trousseau de clef sonnant à sa
ceinture. Oh! hâtez-vous, gentilshommes, si vous avez vraiment
quelque autorité sur ces gens sans principes. Ils ont abattu saint Pierre,

et ils finiront par démolir saint Paul, s'il n'arrive pas de secours. Il ne
restera pas un Apôtre. Ils ont apporté un tonneau de bière et ils sont en
train de le défoncer sur le maître-autel. Oh! Hélas! Peut-on voir chose
pareille dans un pays chrétien!
Il eut un bruyant sanglot et frappa du pied dans son désespoir et sa
souffrance.
--C'est le sacristain, messieurs, dit quelqu'un de la ville. Il a vieilli dans
la cathédrale.
--Voilà le chemin de la Sacristie, mylords et gentilshommes, dit le
vieillard en s'ouvrant courageusement passage à travers la foule.
Maintenant, quel malheur, le saint Paul est tombé aussi!
Comme il parlait, un craquement multiple s'entendit à l'intérieur de la
cathédrale, annonçant une nouvelle profanation des fanatiques.
Notre guide redoubla de vitesse, et parvint enfin à une porte basse en
chêne qu'il ouvrit à force de faire grincer des barreaux et craquer des
gonds.
Nous nous glissâmes tant bien que mal par cette ouverture et suivîmes
du pas le plus rapide le vieillard dans un corridor dallé qui débouchait
dans la cathédrale par une petite porte tout près du maître-autel.
Le vaste édifice était plein d'émeutiers qui couraient de tous côtés,
détruisant, brisant tout ce qu'ils pouvaient atteindre.
Un grand nombre d'entre eux étaient des fanatiques sincères, disciples
du prédicant que nous avions entendu dehors, mais il y en avait d'autres
que leurs figures suffisaient à désigner comme des coquins et des
simples voleurs, tels que toute armée en ramasse sur son passage.
Pendant que les premiers arrachaient les statues des murailles ou
lançaient les livres de prières à travers les vitraux des fenêtres, les
autres déracinaient les massifs candélabres de bronze, emportant tout ce
qui paraissait évidemment avoir quelque valeur.

Un individu déguenillé, huché dans la chaire, s'employait à déchirer le
velours cramoisi qu'il jetait dans la foule.
Un autre avait renversé le pupitre, où on lisait les livres saints, et
s'évertuait à tordre la monture de bronze pour l'enlever.
Au milieu d'une des ailes, un petit groupe avait passé une corde au cou
de l'évangéliste Marc et tirait avec ardeur, si bien qu'au moment même
de notre entrée, la statue oscilla quelques instants et finit par s'abattre à
grand bruit sur les dalles de marbre.
Les vociférations, qui accompagnaient chaque nouvelle profanation, le
craquement des boiseries démolies, des fenêtres brisées, le bruit sourd
de la maçonnerie qui tombait, tout cela faisait un vacarme des plus
assourdissants, auquel s'ajoutait le ronflement de l'orgue, que plusieurs
émeutiers firent taire enfin en crevant les soufflets.
Le spectacle qui nous frappa le plus vivement, ce fut la scène qui se
passait juste en face de nous au maître-autel.
On y avait placé un tonneau de bière.
Une douzaine de bandits s'étaient groupés tout autour.
L'un d'eux, avec des gestes indécents, avait grimpé dessus et s'occupait
à défoncer le tonneau à coups de hachette.
Au moment de notre entrée, il venait de réussir à l'ouvrir.
La liqueur brune sortait en moussant, pendant que la foule, avec de
bruyants éclats de rire, faisait circuler des cuillers à pot et des gobelets.
Le soldat allemand lança un juron grossier, d'une voix saccadée, à ce
spectacle, se frayant à coups d'épaules un passage à travers les
tapageurs.
Il sauta sur l'autel.
Le meneur de l'orgie était penché sur son baril, la cruche à la main,

quand la poigne de fer du soldat s'abattit sur son collet.
En un instant, ses talons battaient l'air, il avait la tête plongée d'une
profondeur de trois pieds dans le tonneau, dont le contenu jaillit en
écumant de tous côtés.
Par un effort vigoureux, Buyse saisit le tonneau avec le mineur à
demi-noyé qui s'y trouvait et lança le tout à grand bruit sur les larges
degrés de marbre qui partaient du centre de l'église.
En même temps, aidés d'une douzaine de nos hommes, qui nous avaient
suivis dans la cathédrale, nous repoussâmes les camarades de l'individu
et les rejetâmes derrière la grille qui séparait le choeur de la nef.
Notre attaque eut pour effet de mettre un terme à
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