Micah Clarke - Tome III | Page 8

Arthur Conan Doyle
de Frome, très mouillés, dans un état lamentable, car la pluie
avait recommencé, et toutes les routes étaient des fondrières boueuses.
De là, nous partîmes le lendemain pour Wells.
On y passa la nuit et tout le jour suivant, pour donner aux hommes le
temps de sécher leurs habits et de se refaire après leurs privations.
Dans l'après-midi, une revue de notre régiment du comté de Wills eut
lieu dans le parvis de la cathédrale, et Monmouth nous fit des éloges,
bien mérités d'ailleurs, pour les progrès accomplis en si peu de temps
dans notre allure martiale.
Comme nous retournions à nos quartiers, après avoir renvoyé nos
hommes, nous aperçûmes une grande foule des grossiers mineurs
d'Oare et de Bagworthy rassemblés sur la place en face de la cathédrale,
et écoutant l'un d'eux, qui les haranguait du haut d'un char.
Les gestes farouches et violents de cet homme prouvaient que c'était un
de ces sectaires extrêmes en qui la religion court le danger de tourner à
la folie furieuse.
Les bruits sourds et les gémissements qui montaient des rangs de la
foule marquaient, cependant, que ses paroles ardentes étaient bien
d'accord avec les dispositions de son auditoire.

Aussi nous fîmes une halte tout près de la foule, pour écouter son
discours.
C'était un homme à barbe rouge, à la figure farouche, avec une toison
en désordre qui retombait sur ses yeux luisants, et doué d'une voix
rauque qui retentissait dans toute la place.
--Que ne ferons-nous pas pour le Seigneur, criait-il, que ne ferons-nous
pas pour le Saint des Saints? Pourquoi sa main s'appesantit-elle sur
nous? Pourquoi n'avons-nous pas délivré ce pays, ainsi que Judith
délivra Béthulie?
Voyez-vous, nous avons attendu en paix, et il n'en est résulté rien de
bon, et pour un temps de santé, nous vivons dans la peine.
Pourquoi cela, vous dis-je?
En vérité, frères, c'est parce que nous avons agi à la légère avec le
Seigneur, parce que nous n'avons pas été entièrement de coeur avec lui.
Oui, nous l'avons loué en paroles, mais par nos actions, nous lui avons
témoigné de la froideur.
Vous le savez bien, le Prélatisme est chose maudite, qui mérite les
sifflets, une chose qui est une abomination aux yeux du Tout-Puissant.
Et cependant, qu'est-ce que nous avons fait pour lui en cette
circonstance, nous, ses serviteurs?
N'avons-nous pas vu des églises prélatistes, églises des formes et des
apparences, où la créature est confondue avec le Créateur?
Ne les avons-nous pas vues, dis-je, et cependant n'avons-nous pas
négligé de les balayer au loin, et ainsi ne les avons-nous pas
sanctionnées?
Le voilà le péché d'une génération tiède et prête à reculer!
La voilà la cause pour laquelle le Seigneur regarde avec froideur son

peuple!
Voyez, à Shepton et à Frome, nous avons laissé derrière nous de
pareilles églises.
À Gastonbury aussi, nous avons épargné ces murailles coupables qui
furent élevées par les mains des idolâtres de jadis.
Malheur à vous, si après avoir mis la main à la charrue du Seigneur,
vous tournez le dos à la besogne!
Regardez par ici...
Et sur ces mots, il se tourna vers la belle cathédrale:
--Que signifie cet amas de pierre? N'est-ce point un autel de Baal?
Ne fut-il point construit pour le culte de l'homme et non pour celui de
Dieu.
N'est-ce point ici que le nommé Ken, paré de son sot rochet, de ses
joyaux puérils, peut prêcher des doctrines sans âme, et menteuses,
lesquelles ne sont que le vieux ragoût du Papisme servi sous un nom
nouveau?
Est-ce que nous souffririons pareille chose?
Est-ce que nous, les enfants choisis du Grand Être, nous laisserons
subsister cette tache pestiférée!
Pouvons-nous compter sur l'aide du Tout-Puissant, si nous n'étendons
pas la main pour venir à son aide?
Nous avons laissé derrière nous les autres temples du Prélatisme,
laisserons-nous aussi celui-ci debout, mes frères?
--Non, non, hurla la foule, agitée par des mouvements d'orage.
--Allons-nous le démolir jusqu'à ce qu'il n'en reste pas pierre sur pierre?

--Oui! Oui! cria-t-on.
--Maintenant? Tout de suite?...
--Oui, oui!
--Alors, à l'oeuvre! cria-t-il, et s'élançant à bas de son char, il se
précipita vers la cathédrale, suivi de près par la tourbe d'enragés
fanatiques.
Les uns s'amassèrent, hurlant, vociférant, pour franchir les portes
ouvertes.
D'autres, en essaims, grimpaient aux piliers et aux piédestaux de la
façade, martelaient les ornements sculptés, se cramponnaient aux
vieilles et grises statues de pierre qui occupaient chaque niche.
--Il faut mettre un terme à ce désordre, dit Saxon d'un ton bref. Nous ne
pouvons laisser insulter et salir toute l'Église d'Angleterre pour plaire à
une bande de braillards à la tête échauffée. Le pillage de cette
cathédrale ferait plus de tort à notre cause que la perte d'une bataille
rangée. Amenez votre compagnie, Sir Gervas. Pour nous, nous ferons
de notre mieux pour les retenir
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 82
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.