de livres à notre caisse militaire, car
c'était une localité prospère, avec un commerce très actif de cabotage
qui s'étendait sur tout le cours de la rivière de Parret.
Après avoir passé une nuit sous des abris confortables, nous repartîmes
par un temps pire encore que la veille.
Dans cette région, le sol est une vaste fondrière, même au temps le plus
sec, mais de fortes pluies avaient fait déborder les mares et les avaient
changées en vastes lacs des deux côtés de la route.
Cela avait peut-être un bon côté pour nous, car nous étions aussi
protégés contre les raids de la cavalerie du Roi, mais notre marche en
était très ralentie.
Et, tout le jour, on ne fit que barboter dans la vase et la boue.
Les gouttes de pluies brillaient sur les canons des fusils et ruisselaient
sur les flancs des chevaux au pied lourd.
Nous longeâmes la Parret enflée, traversâmes Eastover, le paisible
village de Bawdrip.
Nous franchîmes la hauteur de Polden.
Les clairons sonnèrent enfin la halte sous les bosquets d'Ashcot et un
grossier repas fut servi aux hommes.
Puis en route sous la pluie impitoyable!
On traversa le parc boisé de l'Auberge au joueur de flûte, puis Wallon,
où l'inondation menaçait les chaumières.
On longea les vergers de Street et on arriva ainsi, à la tombée de la nuit,
dans la vieille et grise cité de Glastonbury, où les bonnes gens firent de
leur mieux pour faire oublier, par leur chaleureux accueil, les
souffrances que causait le mauvais temps.
Le lendemain matin fut encore pluvieux et inclément.
En conséquence, l'armée fit une étape pour attendre Wells.
C'est une ville assez importante, avec une belle cathédrale, qui possède
un grand nombre de figures sculptées placées dans des niches à
l'extérieur, comme nous en avions vu à Salisbury.
Les habitants étaient fort bien disposés pour la cause protestante et
l'armée fut si bien accueillie que sa nourriture coûta peu à la caisse
militaire.
Ce fut au cours de cette étape que nous vînmes pour la première fois en
contact avec la cavalerie royale.
Plus d'une fois, quand la buée de la pluie s'éclaircissait, nous avions vu
l'éclat des armes sur les collines basses qui dominaient la route, et nos
éclaireurs étaient revenus annoncer qu'ils avaient aperçu sur nos deux
flancs de fortes troupes de dragons.
À un certain moment, ils se massèrent en grand nombre sur nos
derrières, comme s'ils se proposaient d'attaquer nos bagages.
Mais Saxon disposa des deux côtés un régiment de piquiers, de sorte
qu'ils se dispersèrent et qu'on ne revit plus leurs armes luire que sur les
hauteurs.
On partit de Wells, le 24, pour gagner Shepton Mallet, sans cesser
d'entrevoir derrière nous et de chaque côté les maudits sabres et
casques.
Ce soir là, nous étions près du pont de Keynsham, à moins de deux
lieues, à vol d'oiseau, de Bristol.
Plusieurs de nos cavaliers passèrent la rivière à gué et s'avancèrent
presque jusqu'aux murailles.
Le matin, les nuages, chargés de pluie, avaient fini par s'éclaircir.
Aussi Ruben et moi, nous descendîmes lentement sur nos montures la
pente d'une des vertes collines qui s'élevaient à l'arrière du camp, dans
l'espoir d'apercevoir quelques indices de l'ennemi.
Nos hommes avaient été laissés libres.
Ils étaient éparpillés sur l'herbe, essayant d'allumer des feux avec du
bois mouillé ou mettant leurs habits à sécher au soleil.
C'était là une troupe bien étrange à voir.
Ils étaient cuirassés de boue de la tête aux pieds.
Leurs chapeaux ramollis s'étaient déformés, leurs armes rouillées, leurs
bottes si usées que beaucoup marchaient nu-pieds, et que d'autres
avaient roulé leurs mouchoirs autour de leurs pieds.
Et pourtant leur court passage par la vie militaire avait fait de ces
rustres aux bonnes figures, des gaillards aux regards farouches, à moitié
rasés, aux joues creuses, sachant «présenter armes» ou «mettre la pique
sur l'épaule», comme s'ils n'avaient fait que cela depuis leur enfance.
Les officiers ne se trouvaient pas mieux partagés que les hommes.
D'ailleurs, mes chers enfants, nul officier, quand il est de service, ne
s'abaisserait à se procurer un confortable que tous ne pourraient point
partager avec lui.
Il doit prendre place au feu du bivouac, partager l'ordinaire du soldat,
ou bien tout laisser-là, car il est un embarras, une pierre d'achoppement.
Nos habits étaient en bouillie, nos cuirasses rougies par la rouille, nos
chevaux aussi tachés, aussi éclaboussés que s'ils s'étaient roulés dans la
vase.
Même nos épées et nos pistolets étaient dans une condition telle que
nous avions de la peine à dégainer les unes et faire partir les autres.
Seul Sir Gervas réussit à maintenir jusqu'au bout sur son costume et sa
personne la propreté poussée jusqu'à la coquetterie.
Que faisait-il pendant les gardes de nuit et comment arrivait-il à
dormir?
Ce fut toujours un mystère pour moi, car
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