Metella | Page 7

George Sand
sa glace, jetait un cri d'effroi à l'aspect d'une ride légère creusée durant la nuit sur les plans lisses et nobles de son visage et de son cou. Elle se défendait encore avec orgueil de la tentation de se mettre du rouge, comme faisaient autour d'elle les femmes de son age. Jusque-là elle avait pu braver le regard d'un homme en plein midi; mais des nuances ternes s'étendaient au contour de ses joues, et un reflet bleuatre encadrait ses grands yeux noirs. Elle voyait déjà ses rivales se réjouir autour d'elle et lui faire un meilleur accueil à mesure qu'elles la trouvaient moins redoutable.
Dans le monde on disait qu'elle était si affectée de vieillir qu'elle en était malade. Les femmes assuraient déjà qu'elle se teignait les cheveux et qu'elle avait plusieurs fausses dents. Le comte de Buondelmonte savait bien que c'étaient autant de calomnies; mais il s'en affectait peut-être plus sincèrement que d'une vérité qui serait restée secrète. Il avait été trop heureux, trop envié depuis dix ans, pour que les jouissances de la vanité, qui sont les plus durables de toutes; n'eussent pas fait palir celles de l'amour. L'attachement et la fidélité de la plus belle et de la plus aimable des femmes avaient-ils développé en lui un immense orgueil, ou l'avaient-ils seulement nourri?
Je n'en sais rien: Toutes les personnes que je connais ont eu vingt ans; et mes études psychologiques me portent à croire que presque tout le monde est capable d'avoir vingt ans, ne f?t-ce qu'une fois en sa vie. Mais le comte en eut trente et demi le jour où lady Mowbray en eut.... (je suis trop bien élevé pour tracer un chiffre qui désignerait au juste ce que j'appellerai, sans offenser ni compromettre personne, l'age indéfinissable d'une femme); et le comte, qui avait tiré une grande gloire de la préférence de lady Mowbray, commen?a à jouer dans le monde un r?le moitié honorable, moitié ridicule, qui fit beaucoup souffrir sa vanité. Dix ans apportent dans toutes les passions possibles beaucoup de calme et de raisonnement: L'amitié, lorsqu'elle n'est qu'une survivance de l'amour, est plus susceptible de calcul et plus froide dans ses jugements. Une telle amitié (que deux ou trois exceptions qui sont dans le monde me le pardonnent!) n'est point héro?que de sa nature. L'amitié de Buondelmonte pour Metella vit d'un oeil très-clairvoyant les chances d'ennui et de dépendance qui allaient s'augmentant d'un c?té, de l'autre les chances d'avenir et de triomphe qui étaient encore vertes et séduisantes. Une certaine princesse allemande; grande liseuse de romans et renommée pour le luxe de ses équipages, débitait des oeillades sentimentales qui, au spectacle, attiraient dans leur direction magnétique tous les yeux vers la loge du comte. Une prima donna, pour laquelle quantité de colonels s'étaient battus en duel, invitait souvent le comte à ses soupers et le raillait de sa vie bourgeoise et retirée.
Des jeunes gens, dont il faisait du reste l'admiration par ses gilets et les pierres gravées de ses bagues, lui reprochaient sérieusement la perte de sa liberté. Enfin il ne voyait plus personne se lever et se dresser sur la pointe des pieds quand lady Mowbray, appuyée sur son bras, paraissait en public. Elle était encore belle, mais tout le monde le savait; on l'avait tant vue, tant admirée! il y avait si longtemps qu'on l'avait proclamée la reine de Florence, qu'il n'était plus question d'elle et que la moindre pensionnaire excitait plus d'intérêt. Les femmes osaient aborder les modes que la seule lady Mowbray avait eu le droit de porter; on ne disait plus le moindre mal d'elle, et le comte entendait avec un plaisir diabolique répéter autour de lui que sa conduite était exemplaire, et que c'était une bien belle chose que de s'abuser aussi longtemps sur les attraits de sa ma?tresse.
La douleur de Metella, en se voyant négligée de celui qu'elle aimait exclusivement, fut si grande que sa santé s'altéra, et que les ravages du temps firent d'effrayants progrès. Le refroidissement de Buondelmonte en fit à proportions égales; et lorsque le jeune Olivier les vit ensemble, lady Mowbray n'en était plus à compter son bonheur par années, mais par heures.
?Savez-vous, ma chère Metella, lui dit le comte le lendemain du jour où elle avait rencontré Olivier au spectacle, que ce jeune Suisse est éperdument amoureux de vous?
--Est-ce que vous auriez envie de me le faire croire? dit lady Mowbray en s'effor?ant de prendre un ton enjoué: voilà au moins la dixième fois depuis quinze jours que vous me le répétez!
--Et quand vous le croiriez, dit assez sèchement le comte, qu'est-ce que cela me ferait??
Metella eut envie de lui dire qu'il n'avait pas toujours été aussi insouciant; mais elle craignit de tomber dans les phrases du vocabulaire des femmes abandonnées, elle garda le silence.
Le comte se promena quelque temps dans l'appartement
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 27
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.