Metella | Page 6

George Sand
universelle l'avait couronnée, aucune des séductions qu'elle pouvait encore exercer, ne la défendirent de ce premier arrêt de condamnation que le regard d'un homme jeune lance à une femme qui ne l'est plus. En un clin d'oeil, en une pensée, Olivier rapprocha de cette beauté si parfaite et si rare le souvenir d'une fra?che et brutale beauté de Suissesse. Les sculpteurs et les peintres en eussent pensé ce qu'ils auraient voulu; Olivier se dit qu'il valait toujours mieux avoir seize ans que cet age problématique dont les femmes cachent le chiffre comme un affreux secret.
Ce regard fut prompt; mais il n'échappa point au comte, et lui fit involontairement mordre sa lèvre inférieure.
Quant à Olivier, ce fut l'affaire d'un instant; il se remit et veilla mieux sur lui-même: il se dit qu'il ne serait point amoureux, mais qu'il pouvait fort bien, sans se compromettre, agir comme s'il l'était; car si lady Mowbray n'avait plus le pouvoir de lui faire faire des folies, elle valait encore là peine qu'il en fit pour elle. Il se trompait peut-être; peut-être une femme en a-t-elle le pouvoir tant qu'elle en a le droit.
Le comte, dissimulant aussi sa mortification, présenta Olivier à lady Mowbray avec toutes sortes de cajoleries hypocrites pour l'un et pour l'autre; et au moment, où Metella tendait sa main au Genevois en le remerciant du service qu'il avait rendu à son ami, le comte ajouta: ?Et vous devez aussi le remercier de l'enthousiasme passionné qu'il professe pour vous, madame. Celui-ci mérite plus que les autres: il vous a adorée avant de vous voir.?
Olivier rougit jusqu'aux yeux, mais lady Mowbray lui adressa un sourire plein de douceur et de bonté; et, lui tendant la main, ?Soyons donc amis, lui dit-elle, car je vous dois un dédommagement pour cette mauvaise plaisanterie de monsieur.
--Soyez ou non sa complice, répondit Olivier, il vous a dit ce que je n'aurais jamais osé vous dire. Je suis trop payé de ce que j'ai fait pour lui.? Et il baisa résolument la main de lady Mowbray.
?L'insolent!? pensa le comte.
Pendant le déjeuner, le comte accabla sa ma?tresse de petits soins et d'attentions. Sa politesse envers Olivier ne put dissimuler entièrement son dépit; Olivier cessa bient?t de s'en apercevoir. Lady Mowbray, de pale, nonchalante et un peu triste, qu'elle était d'abord, devint vermeille, enjouée et brillante. On n'avait exagéré ni son esprit ni sa grace. Lorsqu'elle eut parlé, Olivier la trouva rajeunie de dix ans; cependant son bon sens naturel l'empêcha de se tromper sur un point important. Il vit que Metella, sincère dans sa bienveillance envers lui, ne tirait sa gaieté, son plaisir et son rajeunissement que des attentions affectueuses du comte. ?Elle l'aime encore, pensa-t-il, et lui l'aimera tant qu'elle sera aimée des autres.?
Dès ce moment il fut tout à fait à son aise, car il comprit ce qui se passait entre eux, et il s'inquiéta peu de ce qui pouvait se passer en lui-même; il était encore trop t?t.
Le comte vit que Metella avait charmé son adversaire; il crut tenir la victoire. Il redoubla d'affection pour elle, afin qu'Olivier se convainqu?t bien de sa défaite.
A trois heures il offrit à Olivier, qui se retirait, de le reconduire chez lui, et, au moment de quitter Metella, il lui baisa deux fois la main si tendrement qu'une rougeur de plaisir et de reconnaissance se répandit sur le visage de lady Mowbray. L'expression du bonheur dans l'amour semble être exclusivement accordée à la jeunesse, et quand on la rencontre sur un front flétri par les années, elle y jette de magiques éclairs. Metella parut si belle en cet instant que Buondelmonte en eut de l'orgueil, et, passant son bras sous celui d'Olivier, il lui dit en descendant l'escalier: ?Eh bien! mon cher ami, êtes-vous toujours amoureux de ma ma?tresse?
--Toujours, répondit hardiment Olivier, quoiqu'il n'en pensat pas un mot.
--Vous y mettez de l'obstination.
--Ce n'est pas ma faute, mais bien la v?tre. Pourquoi vous êtes-vous emparé de mon secret et pourquoi l'avez-vous révélé? A présent nous jouons jeu sur table.
--Vous avez la conscience de votre habileté!
--Pas du tout, l'amour est un jeu de hasard.
--Vous êtes très-facétieux!
--Et vous donc, monsieur le comte!?
Olivier consacra plusieurs jours à parcourir Florence. Il pensa peu à lady Mowbray; il aurait fort bien pu l'oublier s'il ne l'e?t pas revue. Mais un soir il la vit au spectacle, et il crut devoir aller la saluer dans sa loge. Elle était magnifique aux lumières et en grande toilette; il en devint amoureux et résolut de ne plus la voir.
Lady Mowbray s'était maintenue miraculeusement belle au delà de l'age marqué pour le déclin du règne des femmes; mais, depuis un an, le temps inexorable semblait vouloir reprendre ses droits sur elle et lui faire sentir le réveil de sa main endormie. Souvent, le matin, Metella, en se regardant sans parure devant
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