était plus à compter son bonheur par années, mais
par heures.
«Savez-vous, ma chère Metella, lui dit le comte le lendemain du jour
où elle avait rencontré Olivier au spectacle, que ce jeune Suisse est
éperdument amoureux de vous?
--Est-ce que vous auriez envie de me le faire croire? dit lady Mowbray
en s'efforçant de prendre un ton enjoué: voilà au moins la dixième fois
depuis quinze jours que vous me le répétez!
--Et quand vous le croiriez, dit assez sèchement le comte, qu'est-ce que
cela me ferait?»
Metella eut envie de lui dire qu'il n'avait pas toujours été aussi
insouciant; mais elle craignit de tomber dans les phrases du vocabulaire
des femmes abandonnées, elle garda le silence.
Le comte se promena quelque temps dans l'appartement d'un air
sombre.
«Vous vous ennuyez, mon ami? lui dit-elle avec douceur.
--Moi! pas du tout! Je suis un peu souffrant.»
Lady Mowbray se tut de nouveau, et le comte continua à se promener
en long et en large. Quand il la regarda, il s'aperçut qu'elle pleurait. «Eh
bien! qu'est-ce que vous avez? lui dit-il en feignant la plus grande
surprise. Vous pleurez parce que j'ai un peu mal à la gorge.
--Si j'étais sûre que vous souffrez, je ne pleurerais pas.
--Grand merci, milady!
--J'essaierais de vous soulager; mais je crois que votre mal est sans
remède.
--Quel est donc mon mal, s'il vous plaît?
--Regardez-moi, monsieur, répondit-elle en se levant et en lui montrant
son visage flétri; votre mal est écrit sur mon front....
--Vous êtes folle, répondit-il en levant les épaules, ou plutôt, vous êtes
furieuse de vieillir! Est-ce ma faute, à moi? puis-je l'empêcher?
--Oh! certainement, Luigi, répondit Metella, vous auriez pu l'empêcher
encore!» Elle retomba sur son fauteuil, pâle, tremblante, et fondit en
larmes.
Le comte fut attendri, puis contrarié; et, cédant au dernier mouvement,
il lui dit brutalement: «Parbleu! madame, vous ne devriez pas pleurer;
cela ne vous embellira pas.» Et il sortit avec colère.
«Il faut absolument que cela finisse, pensa-t-il quand il fut dans la rue.
Il n'est pas en mon pouvoir de feindre plus longtemps un amour que je
ne ressens plus. Tous ces ménagements ressemblent à l'hypocrisie. Ma
faiblesse d'ailleurs prolonge l'incertitude et les souffrances de cette
malheureuse femme. C'est une sorte d'agonie que nous endurons tous
deux. Il faut couper ce lien, puisqu'elle ne veut pas le dénouer.»
Il retourna sur ses pas et la trouva évanouie dans les bras de ses femmes:
il en fut touché et lui demanda pardon. Quand il la vit plus calme, il se
retira plus mécontent lui-même que s'il l'eût laissée furieuse. «Il est
donc décidé, se dit-il en serrant les poings sous son manteau, que je
n'aurai pas l'énergie de me débarrasser d'une femme!» Il s'excita tant
qu'il put à prendre un parti décisif, et toujours, au moment d'en adopter
un, il sentit qu'il n'aurait pas le courage de braver le désespoir de
Metella. Après tout, que ce fût par vanité ou par tendresse, il l'avait
aimée, il avait vécu dix ans heureux auprès d'elle, il lui devait en partie
l'éclat de sa position dans le monde, et il y avait des jours où elle était
encore si belle qu'on le proclamait heureux: il était heureux ces jours-là.
«Cependant il le faut, pensa-t-il; car dans peu de temps elle sera
décidément laide: je ne pourrai plus la souffrir, et je ne serai pas assez
fort pour lui cacher mon dégoût. Alors notre rupture sera éclatante et
rude. Il vaudrait mieux qu'elle se fit à l'amiable dès à présent....»
Il se promena seul pendant une heure au clair de la lune. Il était
tellement malheureux que lady Mowbray serait venue au-devant de ses
desseins si elle avait su combien il était rongé d'ennui. Enfin il s'arrêta
au milieu de la rue; et, regardant autour de lui dans une sorte de
détresse, il vit qu'il était devant l'hôtel où logeait Olivier. Il y entra
précipitamment, je ne sais pas bien pourquoi, et peut-être ne le savait-il
pas non plus lui-même.
Quoi qu'il en soit, il demanda le Genevois, et apprit avec plaisir qu'il
était chez lui. Il le trouva se disposant à aller au bal chez un banquier
auquel il était recommandé. Olivier fut surpris de l'agitation du comte.
Il ne l'avait pas encore vu ainsi, et ne savait que penser de son air
inquiet et de ses fréquentes contradictions. Rien de ce qu'il disait ne
semblait être dans ses habitudes ni dans son caractère. Enfin, après un
quart d'heure de cette étrange manière d'être, Buondelmonte lui pressa
la main avec effusion, le conjura de venir souvent chez lady Mowbray.
Après lui avoir fait mille politesses exagérées, il se retira
précipitamment, comme un homme qui vient de commettre un crime.
Il retourna chez lady Mowbray: il la trouva souffrante et
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.