vous donc, monsieur le comte!»
Olivier consacra plusieurs jours à parcourir Florence. Il pensa peu à
lady Mowbray; il aurait fort bien pu l'oublier s'il ne l'eût pas revue.
Mais un soir il la vit au spectacle, et il crut devoir aller la saluer dans sa
loge. Elle était magnifique aux lumières et en grande toilette; il en
devint amoureux et résolut de ne plus la voir.
Lady Mowbray s'était maintenue miraculeusement belle au delà de
l'âge marqué pour le déclin du règne des femmes; mais, depuis un an, le
temps inexorable semblait vouloir reprendre ses droits sur elle et lui
faire sentir le réveil de sa main endormie. Souvent, le matin, Metella,
en se regardant sans parure devant sa glace, jetait un cri d'effroi à
l'aspect d'une ride légère creusée durant la nuit sur les plans lisses et
nobles de son visage et de son cou. Elle se défendait encore avec
orgueil de la tentation de se mettre du rouge, comme faisaient autour
d'elle les femmes de son âge. Jusque-là elle avait pu braver le regard
d'un homme en plein midi; mais des nuances ternes s'étendaient au
contour de ses joues, et un reflet bleuâtre encadrait ses grands yeux
noirs. Elle voyait déjà ses rivales se réjouir autour d'elle et lui faire un
meilleur accueil à mesure qu'elles la trouvaient moins redoutable.
Dans le monde on disait qu'elle était si affectée de vieillir qu'elle en
était malade. Les femmes assuraient déjà qu'elle se teignait les cheveux
et qu'elle avait plusieurs fausses dents. Le comte de Buondelmonte
savait bien que c'étaient autant de calomnies; mais il s'en affectait
peut-être plus sincèrement que d'une vérité qui serait restée secrète. Il
avait été trop heureux, trop envié depuis dix ans, pour que les
jouissances de la vanité, qui sont les plus durables de toutes; n'eussent
pas fait pâlir celles de l'amour. L'attachement et la fidélité de la plus
belle et de la plus aimable des femmes avaient-ils développé en lui un
immense orgueil, ou l'avaient-ils seulement nourri?
Je n'en sais rien: Toutes les personnes que je connais ont eu vingt ans;
et mes études psychologiques me portent à croire que presque tout le
monde est capable d'avoir vingt ans, ne fût-ce qu'une fois en sa vie.
Mais le comte en eut trente et demi le jour où lady Mowbray en eut....
(je suis trop bien élevé pour tracer un chiffre qui désignerait au juste ce
que j'appellerai, sans offenser ni compromettre personne, l'âge
indéfinissable d'une femme); et le comte, qui avait tiré une grande
gloire de la préférence de lady Mowbray, commença à jouer dans le
monde un rôle moitié honorable, moitié ridicule, qui fit beaucoup
souffrir sa vanité. Dix ans apportent dans toutes les passions possibles
beaucoup de calme et de raisonnement: L'amitié, lorsqu'elle n'est
qu'une survivance de l'amour, est plus susceptible de calcul et plus
froide dans ses jugements. Une telle amitié (que deux ou trois
exceptions qui sont dans le monde me le pardonnent!) n'est point
héroïque de sa nature. L'amitié de Buondelmonte pour Metella vit d'un
oeil très-clairvoyant les chances d'ennui et de dépendance qui allaient
s'augmentant d'un côté, de l'autre les chances d'avenir et de triomphe
qui étaient encore vertes et séduisantes. Une certaine princesse
allemande; grande liseuse de romans et renommée pour le luxe de ses
équipages, débitait des oeillades sentimentales qui, au spectacle,
attiraient dans leur direction magnétique tous les yeux vers la loge du
comte. Une prima donna, pour laquelle quantité de colonels s'étaient
battus en duel, invitait souvent le comte à ses soupers et le raillait de sa
vie bourgeoise et retirée.
Des jeunes gens, dont il faisait du reste l'admiration par ses gilets et les
pierres gravées de ses bagues, lui reprochaient sérieusement la perte de
sa liberté. Enfin il ne voyait plus personne se lever et se dresser sur la
pointe des pieds quand lady Mowbray, appuyée sur son bras, paraissait
en public. Elle était encore belle, mais tout le monde le savait; on l'avait
tant vue, tant admirée! il y avait si longtemps qu'on l'avait proclamée la
reine de Florence, qu'il n'était plus question d'elle et que la moindre
pensionnaire excitait plus d'intérêt. Les femmes osaient aborder les
modes que la seule lady Mowbray avait eu le droit de porter; on ne
disait plus le moindre mal d'elle, et le comte entendait avec un plaisir
diabolique répéter autour de lui que sa conduite était exemplaire, et que
c'était une bien belle chose que de s'abuser aussi longtemps sur les
attraits de sa maîtresse.
La douleur de Metella, en se voyant négligée de celui qu'elle aimait
exclusivement, fut si grande que sa santé s'altéra, et que les ravages du
temps firent d'effrayants progrès. Le refroidissement de Buondelmonte
en fit à proportions égales; et lorsque le jeune Olivier les vit ensemble,
lady Mowbray n'en
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