Maria Chapdelaine | Page 7

Louis Hamon
Dans un coin la grande armoire de bois; tout pr��s, la table, le banc contre le mur, et de l'autre c?t�� de la porte l'��vier et la pompe. Une cloison partant du mur oppos�� semblait vouloir s��parer cette partie de la maison en deux pi��ces; seulement elle s'arr��tait avant d'arriver au po��le et aucune cloison ne la rejoignait, de sorte que ces deux compartiments de la salle unique chacun enclos de trois c?t��s ressemblaient �� un d��cor de th��atre, un de ces d��cors conventionnels dont on veut bien croire qu'ils repr��sentent deux appartements distincts, encore que les regards des spectateurs les p��n��trent tous les deux �� la fois.
Le p��re et la m��re Chapdelaine avaient leur lit dans un de ces compartiments; Maria et Alma-Rose dans l'autre. Dans un coin, un escalier droit menait par une trappe au grenier, o�� les gar?ons couchaient pendant l'��t��; l'hiver venu, ils descendaient leur lit en bas et dormaient �� la chaleur du po��le avec les autres.
Accroch��s au mur, des calendriers illustr��s des marchands de Roberval ou de Chicoutimi; une image de J��sus enfant dans les bras de sa m��re: un J��sus aux immenses yeux bleus dans une figure rose, ��tendant des mains potel��es; une autre image repr��sentant quelque sainte femme inconnue regardant le ciel d'un air d'extase; la premi��re page d'un num��ro de No?l d'un journal de Qu��bec, pleine d'��toiles grosses comme des lunes et d'anges qui volaient les ailes repli��es.
--As-tu ��t�� sage pendant que je n'��tais pas l��, Alma-Rose?
Ce fut la m��re Chapdelaine qui r��pondit:
--Alma-Rose n'a pas ��t�� trop ha?ssable; mais T��lesphore m'a donn�� du tourment. Ce n'est pas qu'il fasse du mal; mais les choses qu'il dit! On dirait que cet enfant-l�� n'a pas tout son g��nie.
T��lesphore s'affairait avec l'attelage du chien et pr��tendait ne pas entendre.
Les errements du jeune T��lesphore constituaient le seul drame domestique que conn?t la maison. Pour s'expliquer �� elle-m��me et pour lui faire comprendre �� lui ses p��ch��s perp��tuels, la m��re Chapdelaine s'��tait fa?onn�� une sorte de polyth��isme compliqu��, tout un monde surnaturel o�� des g��nies n��fastes ou bienveillants le poussaient tour �� tour �� la faute et au repentir. L'enfant avait fini par ne se consid��rer lui-m��me que comme un simple champ clos, o�� des d��mons assur��ment malins et des anges bons mais un peu simples se livraient sans fin un combat in��gal.
Devant le pot de confitures vide il murmurait d'un air sombre:
--C'est le d��mon de la gourmandise qui m'a tent��.
Rentrant d'une escapade avec des v��tements d��chir��s et salis, il expliquait, sans attendre des reproches:
--Le d��mon de la d��sob��issance m'a fait faire ?a. C'est lui, certain!
Et presque aussit?t il affirmait son indignation et ses bonnes intentions.
--Mais il ne faut pas qu'il y revienne, eh, sa m��re! Il ne faut pas qu'il y revienne, ce m��chant d��mon. Je prendrai le fusil �� son p��re et je le tuerai...
--On ne tue pas les d��mons avec un fusil, pronon?ait la m��re Chapdelaine. Quand tu sens la tentation qui vient, prends ton chapelet et dis des pri��res.
T��lesphore n'osait r��pondre; mais il secouait la t��te d'un air de doute. Le fusil lui paraissait �� la fois plus plaisant et plus s?r et il r��vait d'un combat h��ro?que, d'une longue tuerie dont il sortirait parfait et pur, d��livr�� �� jamais des emb?ches du Malin.
Samuel Chapdelaine rentra dans la maison et le souper fut servi. Les signes de croix autour de la table; les l��vres remuant en des Benedicite muets, T��lesphore et Alma-Rose r��citant les leurs �� haute voix; puis d'autres signes de croix; le bruit des chaises et du banc approch��s, les cuillers heurtant les assiettes. Il sembla �� Maria qu'elle remarquait ces gestes et ces sons pour la premi��re fois de sa vie, apr��s son absence; qu'ils ��taient diff��rents des sons et des gestes d'ailleurs et rev��taient une douceur et une solennit�� particuli��res d'��tre accomplis en cette maison isol��e dans les bois.
Ils achevaient de souper lorsqu'un bruit de pas se fit entendre au dehors; Chien dressa les oreilles, mais sans grogner.
--Un veineux, dit la m��re Chapdelaine. C'est Eutrope Gagnon qui vient nous voir.
La proph��tie ��tait facile puisque Eutrope Gagnon ��tait leur unique voisin. L'aim��e pr��c��dente, il avait pris une concession �� deux milles de l�� avec son fr��re; ce dernier ��tait mont�� aux chantiers pour l'hiver, le laissant seul dans la hutte de troncs bruts quels avaient ��lev��e. Il apparut sur le seuil, son fanal �� la main.
--Salut un chacun, fit-il en ?tant son casque de laine. La nuit ��tait claire et il y a encore une cro?te sur la neige; alors puisque ?a marchait bien, j'ai pens�� que je viendrais veiller et voir si vous ��tiez revenu.
Malgr�� qu'il v?nt pour Maria, comme chacun savait, c'��tait au p��re Chapdelaine seulement qu'il s'adressait, un peu par timidit�� et un peu par respect de l'��tiquette paysanne. Il prit la chaise qu'on lui avan?ait.
--Le
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