Marcof le Malouin | Page 3

Ernest Capendu
couleur jonquille, dessinait une taille ronde et cambrée et une poitrine élégante et riche de promesses presque réalisées. Les manches, en mousseline blanche à mille plis, s'ajustaient à la robe par deux larges poignets de velours entourant la naissance du bras. La jupe bleue retombait sur une seconde jupe orange, laquelle, à son tour, laissait apercevoir un troisième jupon de laine noire. Des bas de coton cerise, à broderie noire, modelaient à ravir une fine et délicieuse jambe de Diane chasseresse. Le petit pied de cette belle fille était enfermé dans un simple soulier de cuir bien ciré, orné d'une boucle d'or. D'énormes anneaux d'oreilles et une cha?ne de cou à laquelle pendait une petite croix d'or, complétaient ce costume pittoresque.
En s'élan?ant légère sur le pont du lougre, la jeune Bretonne déplia une sorte de manteau à capuchon à fond gris rayé de vert, qu'elle se jeta gracieusement sur les épaules. Précaution d'autant moins inutile, que les vagues qui déferlaient contre le bordage du _Jean-Louis_ retombaient en pluie fine sur le pont du navire, qu'elles balayaient même quelquefois dans toute sa largeur.
--Ah! ah! les promis, vous avez donc assez du tête-à-tête? demanda en souriant le patron du lougre, dès qu'il eut vu les deux jeunes gens s'avancer vers lui.
Il avait formulé cette question en fran?ais. Jusqu'alors, pour causer avec Bervic et pour donner des ordres à son équipage, il avait employé le dialecte breton.
--Dame! monsieur Marcof, répondit la jeune fille, depuis que vous avez fait fermer les panneaux, l'air commence à manquer là-dedans...
--Si j'ai fait fermer les panneaux, ma belle petite Yvonne, c'est que, sans cela, les lames auraient fort bien pu troubler votre conversation.
--Sainte Marie! quel changement de temps! s'écria le jeune homme en jetant autour de lui un regard plein d'étonnement et presque d'épouvante.
--Ah ?a! mon gars, fit Marcof en souriant, il para?t que quand tu es en train de gazouiller des chansons d'amour, le bon Dieu peut décha?ner toutes ses colères et tous ses tonnerres sans que tu y prêtes seulement attention! Voici près d'une heure que nous dansons sur des vagues diaboliques, et, ce qui m'étonne le plus, c'est que tu sois là, debout devant moi, au lieu de t'affaler dans ton hamac...
--Et pourquoi souffrirais-je, Marcof, quand Yvonne ne souffre pas?...
--C'est qu'Yvonne est fille de matelot; c'est qu'elle a le pied et le coeur marins, et qu'elle serait capable de tenir la barre si elle en avait la force. N'est-ce pas, ma fille? continua Marcof en se retournant vers Yvonne.
--Sans doute, répondit-elle; vous savez bien que je n'ai pas quitté mon père tant qu'il a navigué...
--Je sais que tu es une brave Bretonne, et que la sainte Vierge qui te protége portera bonheur au _Jean-Louis_. Ah! Jahoua, mon gars, tu auras là une sainte et honnête femme; et si tu ne te montrais pas digne de ton bonheur, ce serait un rude compte à régler entre toi et tous les marins de Penmarkh, moi en tête! Vois-tu, Yvonne, c'est notre enfant à tous! Quand un navire vire au cabestan pour venir à pic sur son ancre, il faut qu'elle soit là, il faut qu'elle prie au milieu de l'équipage qui va partir! Un Pater d'Yvonne, c'est une recommandation pour le paradis.
--J'aime Yvonne de toute mon ame et de tout mon coeur, répondit Jahoua avec simplicité, et la preuve que je l'aime, c'est que je suis son promis.
--Je sais bien, mon gars; mais, vois-tu, dans tout cet amour-là, il y a quelque chose qui me met vent dessous vent dedans, c'est...
Marcof s'arrêta brusquement, comme si la crainte d'entamer un sujet pénible ou embarrassant lui e?t fermé la bouche. Jahoua lui-même fit un signe d'impatience, et Yvonne, dont son fiancé tenait les deux mains, se recula vivement en rougissant et en baissant la tête. A coup s?r, les paroles du patron avaient éveillé dans leurs ames un triste souvenir.
--Tonnerre! s'écria Marcof après un moment de silence, voilà la rafale qui redouble. La barre à babord, Bervic! Vieux ca?man, tu ne gouvernes plus! continua-t-il en breton en s'adressant au marin chargé de la direction du lougre.
La tempête, en effet, prenait des proportions formidables. Un coup de tonnerre effrayant succéda si rapidement à l'éclair qui le précédait qu'Yvonne, épouvantée, se laissa tomber à genoux. Marcof saisit lui-même la barre du gouvernail.
--Largue les focs et les huniers! commandait-il d'une voix brusque et saccadée.
A cet ordre inattendu de livrer de la toile au vent dans cette infernale tourmente, les marins, stupéfaits, demeurèrent immobiles.
--Tonnerre d'enfer!... chacun à son poste! hurla Marcof d'une voix tellement impérieuse que ses hommes bondirent en avant.
Quelques secondes plus tard, _le Jean-Louis_, chargé de toiles, filait sur les vagues, tellement penché à tribord que ses basses vergues plongeaient entièrement dans l'Océan.
--Yvonne, reprit plus doucement Marcof en s'adressant à la jeune fille, je suis faché que ton père t'ait conduite
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 123
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.