Marcof le Malouin | Page 9

Ernest Capendu
promis ses grands
yeux expressifs tout chargés de langueur.
--Chère Yvonne! je sens votre bras trembler sous le mien. Les coups de
mer vous ont mouillée; avez-vous froid?

--Non, Jahoua, mais je me sens faible.
--Voulez-vous que nous nous arrêtions un moment?
--Oh! non, dit vivement la jolie Bretonne; marchons plus vite, au
contraire.
Un court silence régna de nouveau.
--Ma chère âme! reprit le jeune homme, vous semblez triste et
soucieuse. Est-ce que vous ne m'aimez plus?
--Si fait, je vous aime toujours, Jahoua, répondit Yvonne avec un
adorable accent de sincérité.
--La présence de Keinec vous a fait mal? avouez-le...
--Oh! oui.
--Vous avez eu peur, peut-être?
--Oh! oui, répéta Yvonne pour la seconde fois.
--Craignez-vous donc Keinec?
--Je ne le devrais pas; car, lui ne m'a jamais fait mal; bien au contraire,
il m'a toujours prodigué les soins affectueux d'un frère; mais, depuis
qu'il est revenu au pays, depuis que nous sommes promis, Jahoua, je ne
m'explique pas pourquoi, le nom seul de Keinec me fait trembler.
--N'y pensez pas!
--Quand je le vois, sa vue me donne un coup dans le coeur!
--Vous avez tort de vous troubler ainsi. Il ne nous a pas seulement
regardés, lui!
--Keinec n'a rien à se reprocher envers moi, tandis que moi, j'ai repris la
parole que je lui avais donnée...

--Puisque vous ne l'aimiez pas.
--Mais il m'aime, lui!
--Eh bien! qu'il vienne me trouver, nous réglerons la chose ensemble!...
--Ne dites pas cela, Jahoua, s'écria vivement la jeune fille.
--Calmez-vous, chère Yvonne! je ferai ce que vous voudrez. Mais ne
vous occupez plus de Keinec, par grâce! Songez plutôt à votre père,
que la tempête aura si fort tourmenté! Quelle sera sa joie en vous
revoyant saine et sauve! Dans une demi-heure nous serons près de lui.
Tenez! voici ma jument grise qui nous attend...
Les deux jeunes gens, en effet, étaient arrivés devant la porte d'une
sorte de grange située au milieu du village. Un paysan bas-breton tenait
les rênes d'une belle bête des Pointes de la Coquille, achetée à la
dernière foire de la Martyre.
Jahoua aida Yvonne à monter sur une grosse pierre. Lui-même s'élança
sur le cheval, et, contraignant l'animal à s'approcher de la pierre, il prit
Yvonne en croupe. La jolie Bretonne passa ses bras autour de la taille
de son fiancé, et tous les deux gagnèrent rapidement la campagne. Ils se
dirigeaient vers le petit village de Fouesnan, qu'habitait le père
d'Yvonne.

IV
LE CHEMIN DES PIERRES-NOIRES.
La fureur de la tempête arrivait à son déclin. La nuit était sombre
encore, mais les nuages, déchirés par la rafale, permettaient de temps à
autre d'apercevoir un coin du ciel bleu éclairé par le scintillement de
quelques étoiles. Les feux de la Saint-Jean, allumés sur tous les points
de la campagne, formaient une illumination pittoresque.
En sortant de Penmarckh, les deux jeunes gens s'engagèrent dans un

sentier encaissé et bordé d'un rideau d'ajoncs entremêlés de chênes
séculaires. Ce sentier se nommait le chemin des Pierres-Noires. Il
devait cette dénomination à des vestiges de monuments druidiques
noircis par le temps, qui s'élevaient à une petite distance de Penmarckh,
et auxquels il conduisait.
Au moment où Jahoua et Yvonne, bâtissant projets sur projets,
négligeaient le présent pour ne songer qu'à l'avenir, un homme,
traversant la campagne en ligne droite, gagnait rapidement le chemin
creux. Cet homme était Keinec, qui, son fusil en bandoulière, son
pen-bas à la main, courait sur les roches avec l'agilité d'un chamois. En
quelques minutes, il eut atteint la crête du talus qui bordait le sentier.
Là, il se coucha à plat-ventre. Écartant sans bruit et avec des
précautions infinies les branches épineuses des ajoncs, il prêta l'oreille
d'abord, puis ensuite il avança lentement la tête. Il entendit les sabots de
la jument grise de Jahoua résonner sur les pierres du chemin, et il vit
venir de loin, à travers l'ombre, les deux amoureux. Alors se relevant
d'un bond, prenant ses sabots à la main, il courut parallèlement au
sentier jusqu'à un endroit où celui-ci décrivait un coude pour s'enfoncer
dans les terres. Les ajoncs, plus épais, formaient un rideau impénétrable.
Keinec les élagua avec son couteau. Cela fait, il planta en terre une
petite fourche, et appuyant sur cette fourche le canon de sa carabine, il
attendit:
Yvonne et Jahoua riaient en causant. A mesure qu'ils avançaient dans le
pays, les feux allumés pour la Saint-Jean devenaient de plus en plus
distincts. Les montagnes et la plaine offraient le coup d'oeil féerique
d'une splendide illumination.
--Voyez-vous, ma belle Yvonne? Notre-Dame de Groix a eu pitié de
nous; elle nous a sauvés de la tempête. Elle a calmé l'orage pour que
nous puissions achever la route sans danger.
--La première fois que nous retournerons à Groix, il faudra faire présent
à Notre-Dame d'une pièce
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