Marcof le Malouin | Page 8

Ernest Capendu
Tu sais bien que je ne
demande pas mieux...
--Et moi, tu sais aussi que je t'aime comme mon matelot, et que j'estime
comme il convient ton courage et ton brave coeur! C'est pour cela,
vois-tu, mon gars, c'est pour cela que je suis fâché de ce que tu vas
faire!...

--Et que vais-je donc faire?
--Tu vas tuer Yvonne et Jahoua.
--Si je voulais la mort de ceux dont tu parles, je n'aurais eu qu'à rester à
terre, et, à cette heure, ils rouleraient noyés sous les vagues.
--Oui! mais c'est la main de Dieu et non la tienne qui les aurait frappés!
Tu n'aurais pas assisté au spectacle de leur agonie; tu n'aurais pas
répandu toi-même ce sang dont ta haine est avide et dont ton amour est
jaloux!.....
--Tais-toi, Marcof, tais-toi!... murmura Keinec.
--Est-ce que je ne dis pas la vérité?.... Ai-je raison?...
--C'est possible!
--Tu vois bien que, maintenant qu'ils sont à terre, maintenant qu'ils
n'ont plus rien à craindre de la tempête, tu vois bien que c'est toi qui les
tueras!
--Que t'importe.
--J'aime Yvonne comme si elle était ma fille!...
--C'est un malheur, Marcof, mais il faut qu'Yvonne meure; il le faut!...
Elle a trahi ses serments! elle est parjure! elle sera punie! répliqua
Keinec d'une voix sombre et résolue.
Marcof se leva et fit quelques pas dans la cabine, puis, revenant
brusquement à son interlocuteur:
--Keinec, dit-il, je te répète que j'aime Yvonne comme ma fille. Si tu
dois la tuer, ne reparais jamais devant moi, jamais, tu m'entends? Si, au
contraire, tu pardonnes, eh bien! ta place est marquée dans cette cabine,
et je te la garderai jusqu'au jour où tu voudras venir la prendre.
--Si tu aimes Yvonne comme tu le dis, murmura Keinec, pourquoi ne

m'empêches-tu pas d'accomplir mon projet?
--Parce qu'il faudrait te tuer toi-même?
--Tue-moi donc! tue-moi, Marcof! au moins je ne souffrirai plus.
Marcof, ému par l'accent déchirant avec lequel le jeune homme avait
prononcé ces mots, lui prit la main dans les siennes.
--Ami, lui dit-il d'une voix plus douce, ne te rappelles-tu pas que c'est
en voulant sauver le navire que je commandais et qui a failli périr sur
les côtes, que ton pauvre père est mort? Toi-même ne viens-tu pas de te
dévouer pour mon lougre? Va, pour ne pas te voir souffrir, je donnerais
dix ans de ma vie, et c'est pour t'éviter un désespoir sans fin, un
remords éternel, que je te supplie encore de ne pas aller à terre!
Keinec courba la tête et ne répondit pas. Ses traits expressifs reflétaient
le combat qui se livrait dans son âme. Enfin, s'arrachant pour ainsi dire
aux pensées qui le torturaient, il fit un brusque mouvement, serra les
mains de Marcof, leva ses yeux vers le ciel, et s'élança au dehors en
emportant sa carabine.
--Il va la tuer! s'écria Marcof en brisant d'un coup de poing une petite
table qui se trouvait à sa portée.
Marcof sortit de sa cabine, poussa la porte avec violence et s'élança sur
le pont de son navire. Keinec n'y était plus. Quelques marins, étendus
çà et là, sommeillaient paisiblement, se remettant de leurs fatigues de la
soirée.
La falaise, descendant à pic dans la mer, avait permis au lougre de venir
s'amarrer bord à bord avec elle. Une planche, posée d'un côté sur le
rocher et de l'autre sur le bastingage de l'arrière, établissait la
communication entre _le Jean-Louis_ et la terre ferme. Marcof se
dirigea de ce côté. Au moment où il allait poser le pied sur le
pont-volant, un homme s'avança venant de l'extrémité opposée. Le
marin se recula et livra passage.

--Jocelyn! fit-il vivement en reconnaissant le nouveau venu.--Vous
avez à me parler?
--De la part de monseigneur.
--Est-ce qu'il désire me voir?
--Cette nuit même.
--Il a donc appris mon arrivée?
--Oui; un domestique à cheval attendait à Penmarckh pendant l'orage,
et avait ordre de revenir au château dès l'entrée du _Jean-Louis_ dans la
crique.--Vous viendrez n'est-ce pas?
--Sans doute, Jocelyn; aussitôt que les feux de la Saint-Jean seront
éteints, je me rendrai au château de Loc-Ronan.
Jocelyn traversa la planche et disparut dans les ténèbres. Marcof
réveilla Bervic, lui donna quelques ordres, puis, passant une paire de
pistolets dans sa large ceinture, il descendit à terre et s'enfonça dans un
étroit sentier qui longeait le pied des falaises.
* * * * *
Dès qu'Yvonne et Jahoua eurent senti le rocher immobile sous leurs
pieds, le jeune Breton poussa un soupir de satisfaction. Glissant son
bras autour de la taille de sa fiancée, il entraîna rapidement la jeune
fille vers l'intérieur du village. Ils firent ainsi deux cents pas environ
sans échanger une parole. Jahoua, le premier, rompit le silence.
--Yvonne! fit-il d'une voix lente.
--Jahoua! répondit la jeune fille en levant sur son
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