Marchand de Poison | Page 3

Georges Ohnet
affaire. Alors, rouler la partie adverse lui paraissait le premier des devoirs, presque une n��cessit�� professionnelle. Il ��tait sobre, dur et ent��t�� comme un ane. Il n'aimait au monde que sa soeur F��licit��, et n'avait qu'un but: lui assurer un avenir tranquille. Elle faisait de la lingerie bien mis��rablement dans son petit logis, pendant que Mareuil cherchait la fortune sur le pav�� de bois de la ville. Il ��tait rabatteur pour le compte d'un annoncier, quand sa d��ambulation sans r��pit le conduisit avenue de Tourville. Il entra dans le caf�� de Vernier, et sur les offres du patron qui lui poussait un verre de son fameux Prunelet, il entra en propos. Vernier vanta les vertus de sa liqueur. Mareuil s'��tonna qu'il n'e?t pas l'id��e d'en faire c��l��brer les m��rites par la presse. Il entonna son boniment:
--La r��clame, monsieur, n'est-elle pas le plus puissant, le seul levier de l'��poque? Avec la r��clame, monsieur, on fait passer un idiot, aux yeux des ��lecteurs, pour un homme de talent et on le pousse au minist��re! Avec la r��clame.... Tenez, monsieur, la r��clame, c'est bien simple.... Je vous fais une annonce p��riodique, pendant un mois, de semaine en semaine, dans mes journaux.... ?a ne vous co?te rien!
--Rien? s'��cria Vernier, all��ch�� par cette d��claration. Alors que gagnez-vous?
--Vous allez comprendre le m��canisme de l'op��ration.... Je vous avance ma publicit��.... Mais vous, sur toute vente de votre Prunelet que vous ferez hors de votre ��tablissement, vous me paierez un droit de dix centimes par bouteille.
Vernier, qui n'avait jamais d��bit�� de sa liqueur que chez lui, regarda son interlocuteur avec un air narquois. Il se dit: ?Tu veux m'enfoncer. Je ne sais comment. Mais l'enfonc��, ce sera toi. Qu'est-ce que je risque? Si je ne vends rien, je ne paierai pas. Et si, par hasard, la r��clame agissait... si je vendais!?
Une flamme d'orgueil monta au cerveau de Vernier, qui se vit marchand en gros, exp��diant des caisses de Prunelet dans tous les caf��s de la province, et, qui sait? de Paris peut-��tre. Il dit:
--?a me va. Topez! Mais vous d?nerez bien avec moi pour causer de notre affaire.
D��j��, c'��tait ?notre? affaire! Les deux complices firent un petit d?ner fin, dans l'arri��re-boutique du caf��, et Mareuil r��digea, au dessert, l'annonce dont il comptait bien obtenir de son patron la publicit�� gratuite. C'��tait, �� peu de chose pr��s, l'annonce si honn��tement all��chante qui servit, plus tard, au lancement du c��l��bre Royal-Vernier-Mareuil-Carte jaune. On y trouvait d��j�� ?les cognacs sup��rieurs r��colt��s, par Vernier lui-m��me, dans son domaine de R��gnac (Charente)?. Brave Vernier, qui achetait de l'eau-de-vie de grains, �� r��veiller les morts! Le domaine de R��gnac! Il fallut se le procurer, aux jours de la prosp��rit��, et le baptiser ainsi pour sauvegarder la v��rit�� des boniments ant��rieurs.
Mareuil, vers les dix heures, partit de l'avenue de Tourville, nanti d'une fiole de Prunelet qu'il offrit �� son annonceur, en l'honneur des quelques lignes de sa premi��re r��clame. Mais ce n'��tait ni sur la publicit�� des journaux, ni sur l'excellence de la liqueur que Mareuil comptait, c'��tait sur son action personnelle. Le Prunelet de Vernier, d��pos�� chez un entrepositaire par les soins de Mareuil, s'enleva par caisses, d��s la premi��re quinzaine; et voici comment. Mareuil avait des camarades. Il convint avec eux d'une petite com��die �� jouer dans les caf��s du boulevard. Mareuil entrait. A la question du gar?on: ?Que faut-il servir �� Monsieur?? il r��pondait nettement:
--Prunelet-Vernier, et de l'eau frapp��e....
Naturellement le gar?on r��pondait:
--Prunelet-Vernier? Nous n'avons pas ?a....
--Ah! vous n'avez pas ?a? Quand vous l'aurez, je reviendrai.
Il sortait. La dame du comptoir appelait le gar?on et s'informait. L'explication donn��e par lui jetait l'inqui��tude dans l'esprit de la caissi��re. Dans la m��me journ��e, deux ou trois amis de Mareuil venaient r��clamer tour �� tour du Vernier. La cons��quence forc��e, c'��tait l'achat d'une caisse de Prunelet. Une fois la caisse achet��e, il fallait la vendre. Et alors une autre parade commen?ait: celle du gar?on passionn�� pour faire consommer aux clients le Vernier que la maison avait sur les bras. La tactique de Mareuil r��ussit tellement bien qu'en six mois il toucha quinze cents francs de commission, et que Vernier entama la fabrication de sa liqueur en grand. Il installa un d��p?t d��cent rue Montmartre. Et, comme il fallait une personne de confiance pour tenir les comptes, ce fut Mlle F��licit�� Mareuil qui, de la lingerie, passa aux ��critures. Vernier l'appr��cia. Elle ��tait blonde, douce et timide. Il lui fit la cour, et, au moment o�� il vendait son caf�� de l'avenue de Tourville pour s'��tablir distillateur �� Aubervilliers, il ��pousa la soeur de Mareuil, devenu son associ��.
L'union de ces trois ��tres ��tait exemplaire. Ils ne vivaient que pour le travail. Vernier distillait, transvasait, soutirait, emballait. Mareuil courait la France et l'��tranger pour placer le Prunelet. Et F��licit�� tenait la caisse, qui s'emplissait �� mesure que les
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