Manon Lescaut | Page 2

Abbé Prévost
�� tout le monde de se donner; elle d��pend des situations diff��rentes o�� l'on se trouve plac�� par la fortune. Il ne reste donc que l'exemple qui puisse servir de r��gle �� quantit�� de personnes dans l'exercice de la vertu. C'est pr��cis��ment pour cette sorte de lecteurs que des ouvrages tels que celui-ci peuvent ��tre d'une extr��me utilit��, du moins lorsqu'ils sont ��crits par une personne d'honneur et de bon sens. Chaque fait qu'on y rapporte est un degr�� de lumi��re, une instruction qui suppl��e �� l'exp��rience; chaque aventure est un mod��le d'apr��s lequel on peut se former; il n'y manque que d'��tre ajust�� aux circonstances o�� l'on se trouve. L'ouvrage entier est un trait�� de morale, r��duit agr��ablement en exercice.
Un lecteur s��v��re s'offensera peut-��tre de me voir reprendre la plume, �� mon age, pour ��crire des aventures de fortune et d'amour; mais, si la r��flexion que je viens de faire est solide, elle me justifie; si elle est fausse, mon erreur sera mon excuse.

PREMIERE PARTIE
Je suis oblig�� de faire remonter mon lecteur au temps de ma vie o�� je rencontrai pour la premi��re fois le chevalier des Grieux. Ce fut environ six mois avant mon d��part pour l'Espagne. Quoique je sortisse rarement de ma solitude, la complaisance que j'avais pour ma fille m'engageait quelquefois �� divers petits voyages, que j'abr��geais autant qu'il m'��tait possible. Je revenais un jour de Rouen, o�� elle m'avait pri�� d'aller solliciter une affaire au Parlement de Normandie pour la succession de quelques terres auxquelles je lui avais laiss�� des pr��tentions du c?t�� de mon grand-p��re maternel. Ayant repris mon chemin par Evreux, o�� je couchai la premi��re nuit, j'arrivai le lendemain pour d?ner �� Pacy, qui en est ��loign�� de cinq ou six lieues. Je fus surpris, en entrant dans ce bourg, d'y voir tous les habitants en alarme. Ils se pr��cipitaient de leurs maisons pour courir en foule �� la porte d'une mauvaise h?tellerie, devant laquelle ��taient deux chariots couverts. Les chevaux, qui ��taient encore attel��s et qui paraissaient fumants de fatigue et de chaleur marquaient que ces deux voitures ne faisaient qu'arriver. Je m'arr��tai un moment pour m'informer d'o�� venait le tumulte; mais je tirai peu d'��claircissement d'une populace curieuse, qui ne faisait nulle attention �� mes demandes, et qui s'avan?ait toujours vers l'h?tellerie, en se poussant avec beaucoup de confusion. Enfin, un archer rev��tu d'une bandouli��re, et le mousquet sur l'��paule, ayant paru �� la porte, je lui fis signe de la main de venir �� moi. Je le priai de m'apprendre le sujet de ce d��sordre. Ce n'est rien, monsieur me dit-il; c'est une douzaine de filles de joie que je conduis, avec mes compagnons, jusqu'au Havre-de-Grace, o�� nous les ferons embarquer pour l'Am��rique. Il y en a quelques-unes de jolies, et c'est, apparemment ce qui excite la curiosit�� de ces bons paysans. J'aurais pass�� apr��s cette explication, si je n'eusse ��t�� arr��t�� par les exclamations d'une vieille femme qui sortait de l'h?tellerie en joignant les mains, et criant que c'��tait une chose barbare, une chose qui faisait horreur et compassion. De quoi s'agit-il donc? lui dis-je. Ah! monsieur entrez, r��pondit-elle, et voyez si ce spectacle n'est pas capable de fendre le coeur! La curiosit�� me fit descendre de mon cheval, que je laissai, �� mon palefrenier. J'entrai avec peine, en per?ant la foule, et je vis, en effet, quelque chose d'assez touchant. Parmi les douze filles qui ��taient encha?n��es six par six par le milieu du corps, il y en avait une dont l'air et la figure ��taient si peu conformes �� sa condition, qu'en tout autre ��tat je l'eusse prise pour une personne du premier rang. Sa tristesse et la salet�� de son linge et de ses habits l'enlaidissaient si peu que sa vue m'inspira du respect et de la piti��. Elle tachait n��anmoins de se tourner, autant que sa cha?ne pouvait le permettre, pour d��rober son visage aux yeux des spectateurs. L'effort qu'elle faisait pour se cacher ��tait si naturel, qu'il paraissait venir d'un sentiment de modestie. Comme les six gardes qui accompagnaient cette malheureuse bande ��taient aussi dans la chambre, je pris le chef en particulier et je lui demandai quelques lumi��res sur le sort de cette belle fille. Il ne put m'en donner que de fort g��n��rales. Nous l'avons tir��e de l'H?pital, me dit-il, par ordre de M. le Lieutenant g��n��ral de Police. Il n'y a pas d'apparence qu'elle y e?t ��t�� renferm��e pour ses bonnes actions. Je l'ai interrog��e plusieurs fois sur la route, elle s'obstine �� ne me rien r��pondre. Mais, quoique je n'aie pas re?u ordre de la m��nager plus que les autres, je ne laisse pas d'avoir quelques ��gards pour elle, parce qu'il me semble qu'elle vaut un peu mieux que ses compagnes. Voil�� un jeune homme, ajouta l'archer qui pourrait
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