la forme d'un rat sans queue,[9] je ferai, je ferai, je
ferai.
DEUXIÈME SORCIÈRE.--Je te donnerai un vent.
PREMIÈRE SORCIÈRE.--Tu es bien bonne.
TROISIÈME SORCIÈRE.--Et moi un autre.
PREMIÈRE SORCIÈRE.--J'ai déjà tous les autres, les ports vers
lesquels ils soufflent, et tous les endroits marqués sur la carte des
marins. Je le rendrai sec comme du foin, le sommeil ne descendra ni
jour ni nuit sur sa paupière enfoncée; il vivra comme un maudit,
pendant neuf fois neuf longues semaines; il maigrira, s'affaiblira,
languira; et si sa barque ne peut périr, du moins sera-t-elle battue par la
tempête.--Voyez ce que j'ai là.
DEUXIÈME SORCIÈRE.--Montre-moi, montre-moi.
PREMIÈRE SORCIÈRE.--C'est le ponce d'un pilote qui a fait naufrage
en revenant dans son pays.
(Tambour derrière le théâtre.)
TROISIÈME SORCIÈRE.--Le tambour! le tambour! Macbeth arrive.
TOUTES TROIS ENSEMBLE.--Les soeurs du Destin[10] se tenant par
la main, parcourant les terres et les mers, ainsi tournent, tournent, trois
fois pour le tien, trois fois pour le mien, et trois fois encore pour faire
neuf. Paix! le charme est accompli.
(Macbeth et Banquo paraissent, traversant cette plaine de bruyères; ils
sont suivis d'officiers et de soldats.)
MACBETH.--Je n'ai jamais vu de jour si sombre et si beau.
BANQUO.--Combien dit-on qu'il y a d'ici à Fores?--Quelles sont ces
créatures si décharnées et vêtues d'une manière si bizarre? Elles ne
ressemblent point aux habitants de la terre, et pourtant elles y
sont.--Êtes-vous des êtres que l'homme puisse questionner? Vous
semblez me comprendre, puisque vous placez toutes trois à la fois votre
doigt décharné sur vos lèvres de parchemin. Je vous prendrais pour des
femmes si votre barbe ne me défendait de le supposer.
MACBETH.--Parlez, si vous pouvez; qui êtes-vous?
PREMIÈRE SORCIÈRE.--Salut, Macbeth! salut à toi, thane de
Glamis!
DEUXIÈME SORCIÈRE.--Salut, Macbeth! salut à toi, thane de
Cawdor!
TROISIÈME SORCIÈRE.--Salut, Macbeth, qui seras roi un jour!
BANQUO.--Mon bon seigneur, pourquoi tressaillez-vous, et
semblez-vous craindre des choses dont le son vous doit être si
doux?--Au nom de la vérité, êtes-vous des fantômes, ou êtes-vous en
effet ce que vous paraissez être? Vous saluez mon noble compagnon
d'un titre nouveau, de la haute prédiction d'une illustre fortune et de
royales espérances, tellement qu'il en est comme hors de lui-même; et
moi, vous ne me parlez pas: si vos regards peuvent pénétrer dans les
germes du temps, et démêler les semences qui doivent pousser et celles
qui avorteront, parlez-moi donc à moi qui ne sollicite ni ne redoute vos
faveurs ou votre haine.
PREMIÈRE SORCIÈRE.--Salut!
DEUXIÈME SORCIÈRE.--Salut!
TROISIÈME SORCIÈRE.--Salut!
PREMIÈRE SORCIÈRE.--Moindre que Macbeth et plus grand.
DEUXIÈME SORCIÈRE.--Moins heureux, et cependant beaucoup plus
heureux.
TROISIÈME SORCIÈRE.--Tu engendreras des rois, quoique tu ne le
sois pas. Ainsi salut, Macbeth et Banquo!
PREMIÈRE SORCIÈRE.--Banquo et Macbeth, salut!
MACBETH.--Demeurez; vous dont les discours demeurent imparfaits,
dites-m'en davantage. Par la mort de Sinel, je sais que je suis thane de
Glamis; mais comment le serais-je de Cawdor? Le thane de Cawdor est
vivant, est un seigneur prospère; et devenir roi n'entre pas dans la
perspective de ma croyance, pas plus que d'être thane de Cawdor.
Parlez, d'où tenez-vous ces étranges nouvelles, et pourquoi arrêtez-vous
nos pas sur ces bruyères desséchées par vos prophétiques saluts?--Je
vous somme de parler.
(Les sorcières disparaissent.)
BANQUO.--De la terre comme de l'eau s'élèvent des bulles d'air; c'est
là ce que nous avons vu.--Où se sont-elles évanouies?
MACBETH.--Dans l'air; et ce qui paraissait un corps s'est dissipé
comme l'haleine dans les vents.--Plût à Dieu qu'elles eussent demeuré
plus longtemps!
BANQUO.--Étaient-elles réellement ici ces choses dont nous parlons,
ou bien aurions-nous mangé de cette racine de folie[11] qui rend la
raison captive?
MACBETH.--Vos enfants seront rois.
BANQUO.--Vous serez roi.
MACBETH.--Et thane de Cawdor aussi: cela ne s'est-il pas dit ainsi?
BANQUO.--Air et paroles.--Mais qui vient à nous?
(Entrent Rosse et Angus.)
ROSSE.--Macbeth, le roi a reçu avec joie la nouvelle de tes succès; et à
la lecture de tes exploits dans le combat contre les rebelles, son
étonnement et son admiration se disputaient en lui pour savoir ce qui
devait lui rester ou t'appartenir[12]. Réduit par là au silence, en
parcourant le reste des événements du même jour, il t'a trouvé au milieu
des solides bataillons norwégiens, sans effroi au milieu de ces étranges
spectacles de mort, ouvrage de ta main. Aussi pressés que la parole, les
courriers succédaient aux courriers, chacun apportant et répandant
devant lui les éloges que tu mérites pour cette étonnante défense de son
royaume.
ANGUS.--Nous avons été envoyés pour te porter les remerciements de
notre royal maître, pour te conduire en sa présence, non pour te
récompenser.
ROSSE.--Et pour gage de plus grands honneurs, il m'a ordonné de te
saluer de sa part thane de Cawdor. Ainsi, digne thane, salut sous ce
nouveau titre, car il t'appartient.
BANQUO.--Quoi! le diable peut-il dire vrai?
MACBETH.--Le thane de Cawdor est vivant. Pourquoi venez-vous me
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