sur elle un pareil spectacle. Elle en sort troublée, ne
dédaignant plus les terreurs de son mari, mais l'engageant seulement à
ne se pas trop arrêter sur des images, dont on voit qu'elle commence à
se sentir elle-même obsédée. Le coup est porté et se révélera dans
l'admirable et terrible scène du somnambulisme: c'est là que nous
apprendrons ce que devient, lorsqu'il n'est plus soutenu par l'aveugle
emportement de la passion, ce caractère en apparence si inébranlable.
Macbeth s'est affermi dans le crime, après avoir hésité à le commettre,
parce qu'il le comprenait; nous verrons sa femme, succombant sous la
connaissance qu'elle en a trop tard acquise, substituer une idée fixe à
une autre, mourir pour s'en délivrer, et punir par la folie du désespoir le
crime que lui a fait commettre la folie de l'ambition.
Les autres personnages, amenés seulement pour concourir à ce grand
tableau de la marche et de la destinée du crime, n'ont d'autre couleur
que celle de la situation que leur donne l'histoire. Les sorcières sont
bien ce qu'elles doivent être, et je ne sais pourquoi il est d'usage de se
récrier avec dégoût contre cette portion de la représentation de Macbeth:
lorsqu'on voit ces viles créatures arbitres de la vie, de la mort, de toutes
les chances et de tous les intérêts de l'humanité, et qui en disposent
d'après les plus méprisables caprices de leur odieuse nature, à la terreur
qu'inspire leur pouvoir se joint l'effroi que fait naître leur déraison, et le
ridicule même d'un tel spectacle en augmente l'effet.
Le style de Macbeth est remarquable, dans son énergie sauvage, par
une recherche qu'on aura raison de lui reprocher, mais qu'à tort on
regarderait comme contraire à la vérité autant qu'elle l'est au naturel: la
recherche n'est point incompatible avec la grossièreté des moeurs et des
idées; elle semble même assez ordinaire aux temps et aux situations où
manquent les idées générales. L'esprit, qui ne peut demeurer oisif,
s'attache alors aux plus petits rapports, s'y complaît et s'en fait une
habitude que nous retrouvons dans toutes les situations analogues. Rien
n'est plus alambiqué que l'esprit de la littérature du moyen âge. Ce que
nous connaissons des discours des sauvages contient beaucoup d'idées
recherchées; la recherche est le caractère des beaux esprits de la classe
inférieure; les injures mêmes des gens du peuple sont composées
quelquefois avec une recherche tout à fait singulière, comme si, dans
ces moments où la colère exalte les facultés, leur esprit saisissait avec
plus de facilité et d'abondance les rapports de ce genre, les seuls où il
soit capable d'atteindre.
On croit que Macbeth fut représenté en 1606; l'idée de faire une
tragédie sur ce sujet, nécessairement agréable au roi Jacques, qui venait
de monter sur le trône d'Angleterre, fut probablement inspirée à
Shakspeare par une pièce de vers en une petite scène, qu'en 1605, des
étudiants d'Oxford récitèrent en latin devant le roi, et en anglais devant
la reine qui l'avait accompagné dans la ville. Les étudiants étaient au
nombre de trois et parlaient probablement tour à tour; leurs discours
roulèrent sur la prédiction faite à Banquo; et par une allusion au triple
salut qu'avait reçu Macbeth, ils saluèrent Jacques roi d'Angleterre,
d'Écosse et d'Irlande. Ils le saluèrent même roi de France, ce qui
détruisait assez gratuitement la vertu du nombre trois.
MACBETH
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
DUNCAN, roi d'Écosse. MALCOLM, | fils du roi. DONALBAIN, |
MACBETH, | généraux de l'armée du roi. BANQUO, |
MACDUFF, | LENOX, | ROSSE, | seigneurs écossais. MENTEITH,|
ANGUS, | CAITHNESS. FLEANCE, fils de Banquo. SIWARD, comte
de Northumberland, général de l'armée anglaise. LE FILS DE
SIWARD. SEYTON, officier attaché à Macbeth. LE FILS DE
MACDUFF. UN MÉDECIN ANGLAIS. UN MÉDECIN ÉCOSSAIS.
LADY MACBETH. LADY MACDUFF. DAMES DE LA SUITE DE
LADY MACBETH. LORDS, GENTILSHOMMES, OFFICIERS,
SOLDATS, MEURTRIERS, SUIVANTS ET MESSAGERS.
HECATE ET TROIS SORCIÈRES. L'OMBRE DE BANQUO ET
AUTRES APPARITIONS.
La scène est en Écosse, et surtout dans le château de Macbeth, excepté
à la fin du quatrième acte, où elle se passe en Angleterre.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
Un lieu découvert.--Tonnerre, éclairs.
Entrent LES TROIS SORCIÈRES.
PREMIÈRE SORCIÈRE.--Quand nous réunirons-nous maintenant
toutes trois? Sera-ce par le tonnerre, les éclairs ou la pluie?
DEUXIÈME SORCIÈRE.--Quand le bacchanal aura cessé, quand la
bataille sera gagnée et perdue.
TROISIÈME SORCIÈRE.--Ce sera avant le coucher du soleil.
PREMIÈRE SORCIÈRE.--En quel lieu?
DEUXIÈME SORCIÈRE.--Sur la bruyère.
TROISIÈME SORCIÈRE.--Pour y rencontrer Macbeth.
(Une voix les appelle.)
PREMIÈRE SORCIÈRE.--J'y vais, Grimalkin[3]!
LES TROIS SORCIÈRES, _à la fois_.--Paddock[4] appelle.--Tout à
l'heure!--Horrible est le beau, beau est l'horrible. Volons à travers le
brouillard et l'air impur.
(Elles disparaissent.)
[Note 3: _Grimalkin_, nom d'un vieux chat. Grimalkin est très-souvent,
en Angleterre, le nom propre d'un chat.]
[Note 4: _Paddock_, espèce de gros crapaud. Les chats et les crapauds
jouaient, comme on
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