Macbeth | Page 5

William Shakespeare
de règne.
[Note 2: Chroniques de Hollinshed, édit. in-fol. de 1586, t. Ier, p. 168 et
suiv., et pour ce qui concerne le meurtre du roi Duffe, p. 150 et suiv.
C'est probablement des faits fournis par Hector Boèce à cette chronique
que Buchanan, en rapportant beaucoup plus sommairement l'histoire de
Macbeth, a dit: _Multa hic fabulose quidam nostrorum affingunt; sed
quia theatris aut milesiis fabulis sunt aptiora quam historiae, ea omitto_.
(_Rerum Scot. Hist._, t. VII.)]
Tel est l'ensemble de faits auquel Shakspeare s'est chargé de donner
l'âme et la vie. Il se place simplement au milieu des événements et des
personnages, et d'un souffle mettant en mouvement toutes ces choses
inanimées, il nous fait assister au spectacle de leur existence. Loin de
rien ajouter aux incidents que lui a fournis la relation à laquelle il
emprunte son sujet, il en retranche beaucoup; il élague surtout ce qui
altérerait la simplicité de sa marche et embarrasserait l'action de ses
personnages; il supprime ce qui l'empêcherait de les pénétrer d'une

seule vue et de les peindre en quelques traits. Macbeth, avec les crimes
et les grandes qualités que lui attribue son histoire, serait un être trop
compliqué; il faudrait en lui trop d'ambition et trop de vertu à la fois
pour que l'une de ses dispositions pût se soutenir quelque temps en
présence de l'autre, et l'on aurait besoin de trop grandes machines pour
faire pencher la balance de l'un ou l'autre côté. Le Macbeth de
Shakspeare n'est brillant que par ses vertus guerrières, et surtout par sa
valeur personnelle; il n'a que les qualités et les défauts d'un barbare:
brave, mais point étranger à la crainte du péril dès qu'il y croit, cruel et
sensible par accès, perfide par inconstance, toujours prêt à céder à la
tentation qui se présente, qu'elle soit de crime ou de vertu, il a bien,
dans son ambition et dans ses forfaits, ce caractère d'irréflexion et de
mobilité qui appartient à une civilisation presque sauvage; ses passions
sont impérieuses, mais aucune série de raisonnements et de projets ne
les détermine et ne les gouverne; c'est un arbre élevé, mais sans racines,
que le moindre vent peut ébranler et dont la chute est un désastre. De là
naît sa grandeur tragique; elle est dans sa destinée plus que dans son
caractère. Macbeth, placé plus loin des espérances du trône, fût
demeuré vertueux, et sa vertu eût été inquiète, car elle eût été seulement
le fruit de la circonstance; son crime devient pour lui un supplice, parce
que c'est la circonstance qui le lui a fuit commettre: ce crime n'est pas
sorti du fond de la nature de Macbeth; et cependant il s'attache à lui,
l'enveloppe, l'enchaîne, le déchire de toutes parts, et lui crée ainsi une
destinée tourmentée et irrémissible, où le malheureux s'agite vainement,
ne faisant rien qui ne l'enfonce toujours davantage, et avec plus de
désespoir, dans la carrière que lui prescrit désormais son implacable
persécuteur. Macbeth est un de ces caractères marqués dans toutes les
superstitions pour devenir la proie et l'instrument de l'esprit pervers, qui
prend plaisir à les perdre parce qu'ils ont reçu quelque étincelle de la
nature divine, et qui en même temps n'y rencontre que peu de
difficultés, car cette lumière céleste ne lance en eux que des rayons
passagers, à chaque instant obscurcis par des orages.
Lady Macbeth est bien précisément la femme d'un tel homme, le
produit d'un même état de civilisation, d'une même habitude de
passions. Elle y joint de plus d'être une femme, c'est-à-dire sans
prévoyance, sans généralité dans les vues, n'apercevant à la fois qu'une
seule partie d'une seule idée, et s'y livrant tout entière sans jamais

admettre ce qui pourrait l'en distraire et l'y troubler. Les sentiments qui
appartiennent à son sexe ne lui sont point étrangers: elle aime son mari,
connaît les joies d'une mère, et n'a pu tuer elle-même Duncan, parce
qu'il ressemblait à son père endormi; mais elle veut être reine. Il faut
pour cela que Duncan périsse; elle ne voit dans la mort de Duncan que
le plaisir d'être reine; son courage est facile, car elle n'aperçoit pas ce
qui pourrait la faire reculer. Lorsque la passion sera satisfaite et l'action
commise, alors seulement les autres conséquences lui en seront
révélées comme une nouveauté dont elle n'avait pas eu la plus légère
prévision. Ces craintes, cette nécessité de nouveaux forfaits, que son
mari avait entrevus d'avance, elle n'y avait jamais songé. Elle voulait
bien rejeter le crime sur les deux chambellans; mais ce n'est pas elle qui
songe à les tuer; ce n'est pas elle qui prépare le meurtre de Banquo, le
massacre de la famille de Macduff. Elle n'a pas vu si loin; elle n'avait
pas même deviné, en entrant dans la chambre de Duncan égorgé, l'effet
que produirait
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