sain, courageux, bien élevé, et qui appréciait tout ce qui est grand et bon. Il avait vu en Théodoros un idéal qu'il avait souvent rêvé, et il s'était attaché à lui d'une affection tout à fait désintéressée, poussée presque jusqu'à l'adoration. Théodoros l'éleva au rang de likamaquas (chambellan) et le garda toujours auprès de lui. Bell dormait à la porte de la tente de son ami, mangeait du même plat que lui, l'accompagnait dans toutes ses expéditions, et souvent, à la sollicitation de l'empereur, il passait des heures à lui raconter les merveilles de la vie civilisée, les avantages de la discipline militaire ou bien les actes d'un bon gouvernement. Théodoros plusieurs fois le pria d'essayer de discipliner une centaine de jeunes gens; mais les Abyssiniens étaient tellement revêches à la tactique européenne, que les résultats qu'il obtint furent à peu près insignifiants, et que l'empereur finit par y renoncer lui-même. Théodoros manifesta le désir à son ami de le voir marié selon le rite de l'Eglise cophte. Bell finit par y consentir; mais, lorsqu'il fut décidé, ce fut la famille de sa femme qui, à sa grande surprise, refusa son consentement. Alors l'empereur se présenta avec une esclave galla qui était mariée, et il remplit l'office de père de la fiancée.
Bell se fit aimer de tous; ceux qui le connurent, et tous les Européens qui pénétrèrent à cette époque dans le pays, étaient s?rs de trouver en lui un ami dévoué. L'amitié fraternelle qui unissait Bell et Plowden ne fit que cro?tre avec le temps. Lorsque Bell apprit le meurtre de son ami, il fit le serment de venger sa mort. Environ sept mois plus tard, l'empereur, marchant contre Garad, se trouva inopinément près du lieu où Plowden avait été tué. Théodoros se promenait à cheval, un peu en avant de son armée, avant à ses c?tés son fidèle chambellan, lorsqu'à l'entrée d'un petit bois, les deux frères Garad apparurent tout à coup au milieu du chemin, à quelques pas seulement devant eux. Voyant le danger qui mena?ait son ma?tre, Bell se précipita entre lui et l'ennemi, pour lui faire un rempart de son corps, puis visant avec assurance, il fit feu sur le meurtrier de son ami Plowden. Garad tomba. Mais aussit?t l'autre frère, qui surveillait les mouvements de l'empereur, se tourna contre Bell et lui per?a le coeur. Théodoros fut prompt à venger son ami, car à peine Bell était-il couché dans la poussière, que son meurtrier était mortellement blessé par l'empereur lui-même. Théodoros ordonna que la place f?t assiégée, et tous les compagnons d'armes de Garad (au nombre de 1,600, je crois) furent faits prisonniers et massacrés de sang-froid. Théodoros porta le deuil de son fidèle ami pendant plusieurs jours. Il perdit en lui plus qu'un vaillant chef et un hardi soldat, il perdit pour ainsi dire son royaume; car personne n'osa plus l'avertir honnêtement ni le conseiller hardiment, comme l'avait fait Bell, et personne ne jouit jamais plus de la confiance qu'il avait montrée à Bell, confiance si nécessaire pour rendre les conseils profitables.
Il semble que Plowden ait eu plus d'ambition que son ami. Tandis que Bell adoptait l'Abyssinie simplement comme sa patrie, et se contentait de servir le souverain régnant, il est évident que Plowden s'évertuait à se faire nommer représentant de l'Angleterre dans ce pays encore inconnu, et qu'il aurait voulu être traité par le gouverneur de l'Abyssinie comme les consuls le sont dans les Etats de l'Est, un petit imperium in imperio. Il ne fut pas toujours droit dans ses entreprises. Il suggéra à Ras-Ali d'envoyer des présents à la reine et les porta lui-même; il s'effor?a de représenter à lord Palmerston les avantages qui résulteraient d'un traité avec l'Abyssinie, parla longtemps des musulmans qui pratiquaient la traite des noirs et opprimaient les chrétiens, etc., etc. Il finit par persuader le secrétaire des affaires étrangères de le nommer consul d'Abyssinie. C'est une justice à lui rendre que personne mieux que lui n'était capable d'occuper ce poste: il était estimé de tout le monde, et son nom sera toujours prononcé avec respect. Il ne s'identifia pas, comme Bell, à la nation. Il se vêtit toujours à l'européenne, et sa maison fut toujours tenue à l'anglaise. D'un autre c?té, il montra un grand amour pour le cérémonial. Il ne voyageait jamais sans être accompagné de plusieurs centaines de serviteurs, tous armés: vaine parade; car, le jour de sa mort, ce nombreux personnel ne fut pour lui d'aucun secours.
Plowden rentra en Abyssinie comme consul, en 1846. Il fut bien re?u par Ras-Ali, qui en fit son favori, et avec lequel il conclut un traité. Ras-Ali était un débauché, un esprit faible: tout ce qu'il désirait, c'était qu'on le laissat agir à sa guise, et, par la même raison, il laissait chacun autour de lui faire
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