Ma Cousine Pot-Au-Feu | Page 6

Leon de Tinseau
final, mon grand-p��re demeura quelque temps pench�� sur sa chaise. On aurait dit qu'il luttait contre lui-m��me. Tout �� coup, relevant la t��te, il dit d'une voix moins assur��e:
--Nous allons r��citer un Pater et un Ave pour la gu��rison de...d'une malade de la famille.
Ce fut tout. Mais au bruit de mouchoirs qui s'��leva derri��re nous parmi les domestiques du sexe faible, je compris que le jeune Antoine-Ren��-Gaston de Vaudelnay ��tait le seul �� ne pas savoir de quelle malade il s'agissait.
D'autres, �� ma place, n'auraient pu se tenir plus longtemps de faire des questions. Pour moi, dont les meilleurs amis critiquent le caract��re opiniatre, le r��sultat fut tout diff��rent. J'aurais vu d��molir pierre par pierre le chateau sans ouvrir la bouche pour demander la cause du cataclysme. Au fond, je m'attendais �� ce que les explications viendraient d'elles-m��mes, en quoi je me trompais. ��videmment mon fier silence faisait les affaires de tout le monde.
Deux autres jours se pass��rent ainsi, avec de nouveaux cierges de cire �� l'��glise et de nouveaux Pater �� la pri��re du soir. Le troisi��me jour, un t��l��gramme arriva d'assez bon matin, et toute la famille, sauf moi bien entendu, se r��unit presque aussit?t dans le cabinet de ma grand'm��re, fait absolument sans exemple, car, entre l'heure de la messe et celle du d��jeuner, le sanctuaire ne s'ouvrait pour personne sauf la cuisini��re, la femme de charge, le charretier charg�� des commissions �� la ville, et les religieuses du village pr��pos��es au soin des malades et des pauvres. Mais, ce jour-l��, toutes nos habitudes semblaient boulevers��es. Le d��jeuner fut retard�� d'un gros quart d'heure, et ma m��re partit pour Poitiers apr��s une longue conversation avec sa belle-m��re et ses tantes. M��rinos, cr��pe, drap noir, couturi��re, modiste, gants de filoselle, ces mots significatifs avaient frapp�� mes oreilles pendant une heure. Quelqu'un de proche ��tait mort, mais qui? Ce n'��tait pas mon oncle, car j'avais entendu cette phrase prononc��e par ma grand'm��re:
--Je pense que ce pauvre Jean va revenir tout de suite.
Le soir, �� la pri��re, mon grand-p��re dit, pour toute oraison fun��bre:
--Nous allons r��citer un De profundis �� l'intention de ma ni��ce qui sera enterr��e demain en Angleterre.
A ce seul mot de _De profundis_, quelques sanglots ��clat��rent discr��tement, mais non pas chez ? les ma?tres ?. Selon toute apparence, ma grand'm��re et mes tantes avaient pleur�� toutes leurs larmes en leur particulier, car leurs yeux ��taient fort rouges. D'ailleurs, s'abandonner �� l'��motion devant les domestiques, c'��tait une petitesse dont l'id��e ne leur serait pas venue.
Quant �� moi, je savais �� cette heure qu'une mienne parente venait de mourir en Angleterre; mais c'��tait tout. Le degr�� de la parent��, le nom, l'age, l'��tat civil de la d��funte, autant de myst��res pour moi. Au fond du coeur, j'��tais r��volt�� de cette ignorance o�� l'on me laissait. Le soir, en me d��shabillant, ma m��re me fit essayer un costume de deuil. A ce coup, je ne pus y tenir plus longtemps.
--Ce sera sans doute la premi��re fois, dis-je d'un air sombre, que l'on verra quelqu'un prendre le deuil sans savoir le nom de la personne qui vient de mourir.
--Comment! s'��cria ma m��re. Personne ne t'a rien dit?
--Non, r��pondis-je; mais je ne demande rien. Que les autres gardent leurs secrets; moi je garderai les miens, quand j'en aurai.
Dieu sait que la menace, de longtemps, n'��tait pas dangereuse. N��anmoins ma m��re, prise d'��motion, de remords peut-��tre, m'attira sur ses genoux et m'embrassa.
--Mon cher enfant! s'��cria-t-elle, on ne t'a rien dit! C'est que, vois-tu, nous avons tous ��t�� si...si troubl��s...�� cause du pauvre oncle Jean.
--Mais enfin, qui est mort? demandai-je, renon?ant pour cette fois �� mon expectative hautaine.
--C'est sa fille qui est morte.
--L'oncle Jean ��tait mari��?
Ma pauvre m��re leva les yeux vers le ciel avec l'angoisse d'un pilote ��gar�� parmi les ��cueils, cherchant sur la c?te la lueur salutaire du phare.
--Il a ��t�� mari�� longtemps, r��pondit-elle. Ta tante est morte, ne laissant qu'une fille, celle qui vient de mourir �� son tour.
--Comment donc, demandai-je, r��solu �� tout savoir pendant que j'y ��tais, comment donc se fait-il qu'on ne m'ait jamais parl�� de la vie ni de la mort de ma tante? Comment s'appelait-elle? Ne demeurait-elle pas �� Vaudelnay?
L'id��e d'un membre quelconque de la famille habitant ailleurs qu'au chateau, mais, par-dessus tout, l'id��e de l'oncle Jean mari��, p��re, me plongeaient dans une surprise qui restera l'une des plus consid��rables de ma vie. Ma m��re me r��pondit:
--Ton oncle avait ��pous�� une jeune fille italienne dans un de ses voyages. Ta tante n'est jamais venue ici. Personne de la famille ne l'a jamais vue.
--Mais sa fille, celle qui vient de mourir? demandai-je.
--Celle-l�� non plus. Il ne faut pas en parler, surtout �� ton oncle, quand il sera de retour.
J'ouvrais d��j�� la bouche pour un pourquoi passablement justifi��, il faut en convenir, mais je devinai sur le visage
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