Ma Cousine Pot-Au-Feu | Page 4

Leon de Tinseau
le domaine de quelqu'un des rares amis qu'il poss��dait. Selon toute ��vidence, il ��tait pauvre et il mettait une sorte d'orgueil �� le dire �� qui voulait l'entendre. Un de mes ��tonnements d'alors cette pauvret��!
--Comment l'oncle Jean peut-il ��tre pauvre? Il mange et s'habille comme nous, habite le m��me chateau, monte dans les m��mes voitures,--rarement il est vrai,--porte le m��me nom!
Telle est une des questions qui s'agitaient dans ma t��te d'enfant et que j'aurais voulu faire. Mais je la gardais pour moi, celle-l�� et bien d'autres, sachant, par exp��rience, qu'on ne m'accordait pas le droit d'interroger, et ne pouvant d��j�� supporter ce qui m'est encore aujourd'hui l'��preuve la plus insupportable, le refus oppos��, par ceux que j'aime, �� l'un de mes d��sirs. Apr��s tout, se taire n'est point une chose si malais��e.

II
Tous les soirs, �� Vaudelnay, vers le milieu du dessert ? des ma?tres ?, la cloche des repas se mettait en branle de nouveau et r��unissait les domestiques du chateau dans la salle, dall��e de pierres comme une ��glise, qui leur servait de r��fectoire. Cinq minutes apr��s, ma grand'm��re quittait sa place et traversait, suivie de nous tous, l'immense galerie qui s��parait les appartements des communs. C'��tait, en hiver, un v��ritable voyage, plein de dangers �� cause de la diff��rence des temp��ratures et des courants d'air, voyage qui n��cessitait l'emploi de mille pr��cautions diverses sous forme de cache-nez, de douillettes, de mantilles de laine et de couvre-chefs, suivant les sexes et les ages. La galerie travers��e, le cort��ge d��bouchait majestueusement dans une vaste pi��ce, o�� le couvert des gens ��tait mis sur une longue table, ��clair��e de deux lampes primitives en ��tain, compos��es d'une m��che br?lant dans un r��cipient plein d'huile. Toute la cohorte des domestiques, une quinzaine de personnes environ, nous attendait debout. La famille s'agenouillait sur des chaises de bois, le long du mur jauni par la fum��e, tournant le dos �� la table. De l'autre c?t�� de celle-ci, les serviteurs se rangeaient, �� genoux sur le pav��, ayant devant eux, au premier plan, l'alignement des assiettes de fa?ence et des pots de gr��s, au second les dos respectables des Vaudelnay de trois g��n��rations, succ��dant �� tant d'autres qui, sans doute, avaient pri�� au m��me endroit et dans le m��me appareil depuis quatre ou cinq si��cles.
Mon grand-p��re r��citait �� haute voix les oraisons et les litanies; ma?tres et domestiques r��pondaient en choeur, fort d��votement. Puis, le signe de croix final trac�� sur les fronts, il y avait quelques minutes de colloque entre certains membres de la famille et les chefs de service, comme on pourrait les appeler; car les simples soldats de la domesticit�� (groom, laveuse de vaisselle, fille de basse-cour, aide de lingerie) disparaissaient dans les coins jusqu'au moment o�� la soupe, d��j�� fumante dans l'��norme soupi��re, ��tait distribu��e aux convives par la puissante main de la cuisini��re. Pendant ces minutes qui tenaient lieu du rapport au r��giment, la journ��e du lendemain s'arrangeait. Mon grand-p��re conf��rait avec le garde; ma grand'm��re donnait un dernier ordre �� la femme de charge; mon p��re commandait au cocher les sorties du jour suivant; ma m��re causait fleurs et fruits avec le jardinier, mon ennemi, qui m'avait jur�� ses grands dieux le matin qu'il me d��noncerait le soir, et ne me d��non?ait jamais, l'excellent homme! Mais quels moments d'angoisse et comme je comprenais les regards de ce tyran qui me tenait sous sa merci! Parfois mon grand-p��re ��levant la voix annon?ait officiellement un ��v��nement de famille, recommandait la sagesse �� la f��te du village pour le lendemain, d��plorait un malheur survenu dans quelque ferme: gr��le, ��pid��mie de b��tail, fils a?n�� tomb�� au sort.
--Allons! bonsoir, mes amis! concluait-il les jours o�� il ��tait en belle humeur.
Et l'on entendait cette r��ponse, formul��e presque �� voix basse, dans un murmure respectueux:
--Bonsoir, monsieur le marquis.
Nous regagnions alors le salon, �� travers la Sib��rie du long corridor o�� grelottaient les chevaliers sous leurs cuirasses et les dames sous leurs baleines. Pr��s du grand feu, nous retrouvions mes tantes qui n'avaient point d'ordres �� donner, les pauvres! ne poss��dant, en ce monde,--j'ai su pourquoi depuis,--que ce qu'elles recevaient, comme une chose toute simple, de la fraternelle g��n��rosit�� de mon grand-p��re.
Nous y retrouvions aussi l'oncle Jean, qui n'assistait jamais �� la pri��re, circonstance tellement grosse de myst��re �� mes yeux, que je n'avais jamais eu le courage de faire aucune question sur ce sujet redoutable. Mais, si je ne disais rien, j'observais davantage, et les faits qui frappaient mes yeux ne laissaient pas de me rendre perplexe quant �� l'orthodoxie de l'oncle Jean.
Le dimanche, il est vrai, jamais on ne l'avait vu manquer la messe, dont il attendait le dernier coup avec impatience, car il avait la manie d'��tre toujours pr��t une demi-heure trop t?t. Mais il dormait au sermon, et Dieu sait qu'il fallait une forte
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 44
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.