bien raison de ne pas go?ter ce régime, et de prévoir qu'il ne fonderait ni le bonheur, ni la grandeur durable de la France; mais il paraissait, à cette époque, si bien établi dans le sentiment général du pays, on était si convaincu de sa force, on pensait si peu à toute autre chance d'avenir, que, même dans cette région haute et étroite où l'esprit d'opposition dominait, on trouvait parfaitement simple que les jeunes gens entrassent à son service, seule carrière publique qui leur f?t ouverte. Une femme d'un esprit très-distingué et d'un noble coeur, qui me portait quelque amitié, madame de Rémusat se prit du désir de me faire nommer auditeur au Conseil d'état; son cousin, M. Pasquier, alors préfet de police et que je rencontrais quelquefois chez elle, s'y employa de très-bonne grace; et, de l'avis de mes plus intimes amis, je ne repoussai point cette proposition, quoique, au fond de l'ame, elle me causat quelque trouble. C'était au ministère des affaires étrangères qu'on avait le projet de me faire attacher. M. Pasquier parla de moi au duc de Bassano, alors ministre de ce département, et au comte d'Hauterive, directeur des Archives. Le duc de Bassano me fit appeler. Je vis aussi M. d'Hauterive, esprit fécond, ingénieux et bienveillant pour les jeunes gens disposés aux fortes études. Pour m'essayer, ils me chargèrent de rédiger un mémoire sur une question dont l'Empereur était ou voulait para?tre préoccupé, l'échange des prisonniers fran?ais détenus en Angleterre contre les prisonniers anglais retenus en France. De nombreux documents me furent remis à ce sujet. Je fis le mémoire, et ne doutant pas que l'Empereur ne voul?t sérieusement l'échange, je mis soigneusement en lumière les principes du droit des gens qui le commandaient et les concessions mutuelles qui devaient le faire réussir. Je portai mon travail au duc de Bassano. J'ai lieu de présumer que je m'étais mépris sur son véritable objet, et que l'empereur Napoléon, regardant les prisonniers anglais qu'il avait en France comme plus considérables que les Fran?ais détenus en Angleterre, et croyant que le nombre de ces derniers était pour le gouvernement anglais une charge incommode, n'avait au fond nulle intention d'accomplir l'échange. Quoi qu'il en soit, je n'entendis plus parler de mon mémoire ni de ma nomination. Je me permets de dire que j'en eus peu de regret.
Une autre carrière s'ouvrit bient?t pour moi qui me convenait mieux, car elle était plus étrangère au gouvernement. Mes premiers travaux, surtout mes Notes critiques sur l'_Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain_, de Gibbon, et les _Annales de l'éducation_, recueil périodique où j'avais abordé quelques-unes des grandes questions d'éducation publique et privée, avaient obtenu, de la part des hommes sérieux, quelque attention[2]. Avec une bienveillance toute spontanée, M. de Fontanes, alors grand ma?tre de l'Université, me nomma professeur adjoint à la chaire d'histoire qu'occupait M. de Lacretelle dans la Faculté des lettres de l'académie de Paris; et peu après, avant que j'eusse commencé mon enseignement, et comme s'il e?t cru n'avoir pas assez fait pour m'attacher fortement à l'Université, il divisa la chaire en deux et me nomma professeur titulaire d'histoire moderne, avec dispense d'age, car je n'avais pas encore vingt-cinq ans. J'ouvris mon cours au collége du Plessis, en présence des élèves de l'école normale et d'un public peu nombreux, mais avide d'étude, de mouvement intellectuel, et pour qui l'histoire moderne, même remontant à ses plus lointaines sources, aux Barbares conquérants de l'empire romain, semblait avoir un intérêt pressant et presque Contemporain.
[Note 2: Je publie, dans les _Pièces historiques_ placées à la fin de ce volume, une lettre que le comte de Lally-Tolendal m'écrivit de Bruxelles à propos des _Annales de l'éducation_, et dans laquelle le caractère et de l'homme et du temps se montre avec un aimable abandon. (_Pièces historiques_, n° II.)]
Ce n'était point là, de la part de M. de Fontanes, simplement un acte de bienveillance attirée sur moi par quelques pages de moi qu'il avait lues, ou quelques propos favorables qu'il avait entendus à mon sujet. Ce lettré épicurien, devenu puissant et le favori intellectuel du plus puissant souverain de l'Europe, aimait toujours les lettres pour elles-mêmes et d'un sentiment aussi désintéressé que sincère; le beau le touchait comme aux jours de sa jeunesse et de ses poétiques travaux. Et ce qui est plus rare encore, ce courtisan raffiné_ d'un despote glorieux, cet orateur officiel qui se tenait pour satisfait quand il avait prêté à la flatterie un noble langage, honorait, quand il la rencontrait, une indépendance plus sérieuse et prenait plaisir à le lui témoigner. Peu après m'avoir nommé, il m'invita à d?ner à sa maison de campagne, à Courbevoie; assis près de lui à table, nous causames des études, des méthodes d'enseignement, des lettres classiques et modernes, vivement, librement, comme d'anciennes connaissances
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