plan et allons chez M. Thiers.» Tous deux en effet se
rendirent sur-le-champ à Auteuil où M. Thiers habitait alors. M. de
Chabaud exposa alors en détail au président du conseil le plan qu'il
venait de tracer sur la carte, et qu'avait adopté la commission de
défense instituée en 1836 par le maréchal Maison, comme le seul
système complet et efficace. Les trois interlocuteurs discutèrent le
chiffre de la dépense, la durée des travaux, le nombre d'ouvriers qu'ils
exigeraient, l'emploi des troupes à leur exécution: «Pouvez-vous nous
rédiger un projet d'ensemble, demanda M. Thiers au jeune officier, et
quel temps vous faut-il?--Six jours me suffiront, je crois.--Prenez-les;
nous avons bien des questions préliminaires à résoudre d'ici là pour
cette grande affaire; dès que vous serez prêt, nous la porterons au
conseil.»
[Note 5: Le 27 juillet 1840.]
Aidé de tous les documents recueillis au ministère depuis Vauban
jusqu'au général Dode de la Brunerie, rapporteur de la commission de
1836, M. de Chabaud-Latour, au bout de six jours, avait accompli son
oeuvre, tracé le plan complet des fortifications, enceinte et forts, discuté
les moyens d'exécution, et évalué avec détail la dépense qui ne devait
pas, selon lui, dépasser cent quarante millions. Avant de porter ce
mémoire à M. le duc d'Orléans, il lui demanda la permission de le
soumettre au maréchal Vaillant, alors général de brigade, commandant
de l'École polytechnique, longtemps aide de camp du général Haxo, et
déjà regardé, dans le corps du génie, comme l'un des officiers les plus
éminents de cette arme. Après avoir sévèrement examiné le travail du
jeune chef de bataillon: «Je suis prêt, lui dit le général Vaillant, à signer
des deux mains ce projet; dites-le à M. le duc d'Orléans, et ajoutez que
je lui demande, comme une faveur dont je serai profondément
reconnaissant, d'être appelé à concourir, dans le poste qu'il voudra, à
l'exécution de cette oeuvre si nationale et qui a toutes mes convictions.»
Forts de cet assentiment, le prince et son aide-de-camp retournèrent
chez M. Thiers qui approuva sans peine un travail conforme aux idées
qu'il avait lui-même conçues et déjà exprimées à ce sujet. Restait à le
faire accepter du roi qui n'était pas encore bien convaincu de la
nécessité de l'enceinte continue, et inclinait à croire les forts suffisants
pour la défense de Paris à laquelle il tenait d'ailleurs avec passion. La
question fut débattue devant lui à plusieurs reprises, soit dans le conseil
des ministres, soit dans diverses conférences spéciales. Pendant ce
temps, les journaux de l'opposition, instruits de la prédilection du roi
pour le système des forts, l'attaquaient tous les matins et réclamaient
ardemment l'enceinte continue. Un jour enfin, à Saint-Cloud, après une
longue conversation entre le roi, le duc d'Orléans, M. Thiers, le général
Cubières, alors ministre de la guerre, et le jeune rédacteur du plan
proposé, le roi s'écria, avec cette gaieté familière qu'il portait souvent
dans ses résolutions: «Allons, Chartres, nous adoptons ton projet. Je
sais bien que, pour que nous venions à bout de faire les fortifications de
Paris, il faut qu'on crie dans les rues: «A bas Louis-Philippe! Vive
l'enceinte continue!»
La résolution prise, on sait quels en furent aussitôt les résultats. Des
crédits extraordinaires furent ouverts; de nombreux ouvriers et de
vastes approvisionnements réunis. Le général Dode de la Brunerie,
alors le plus ancien des lieutenants généraux du génie et président du
comité des fortifications, fut chargé de l'entreprise. Officier savant et
éprouvé, aussi consciencieux qu'habile, et très-soigneux de sa dignité
personnelle en même temps que dévoué à tous ses devoirs de militaire
et de citoyen, il n'accepta cette grande mission qu'après en avoir
sévèrement discuté le plan, les conditions, les moyens, et choisi ses
collaborateurs. Ils se mirent tous et sur le champ à l'oeuvre. Quand le
cabinet du 29 octobre 1840 se forma, la question des fortifications de
Paris était tranchée, le plan adopté, les travaux partout commencés et
poussés avec ardeur.
Nous acceptâmes sans hésiter cet héritage. Je ne m'en dissimulais pas
les charges. A des titres très-divers, la fortification de Paris et le
système adopté déplaisaient à beaucoup de mes amis politiques et aux
plus ardents fauteurs de l'opposition. Les premiers y voyaient un reste
de la politique du cabinet précédent, une chance de guerre par la
confiance qu'en prendraient les partisans de la guerre, et tous les périls
d'un siége pour Paris, si la guerre venait à éclater. Les seconds
s'alarmaient de la force qu'y trouverait le pouvoir contre les
mouvements populaires de Paris. Pour les uns, il y avait là une sorte de
défi à l'Europe; pour les autres, un grand obstacle à la liberté des
révolutions. En temps de guerre, l'enceinte continue faisait de Paris une
prison; en temps de paix, les forts détachés étaient autant de Bastilles
dont on l'entourait. Les hommes d'ordre dans les
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