jour-là, je me séparerai hautement et sans hésiter. A ne parler que de moi, je ne suis pas faché, je vous l'avouerai, de me trouver un peu en dehors des luttes de personnes et des décompositions de partis: nul ne s'y est engagé plus que moi, dans l'intérêt commun et sans retour sur moi-même; il me convient de m'en reposer. Si quelque autre combinaison de gouvernement me semblait possible, je pourrais la chercher; pour le moment, je n'en vois aucune, et je ne crois pas qu'il soit utile, pour le pays et pour nous-mêmes, ni honorable et conséquent après la coalition, d'aggraver encore, sans nécessité absolue et évidente, ce fardeau d'incompatibilités et d'impossibilités qui a tant pesé sur nous.
?Si je ne me trompe, mon cher ami, toute la portion modérée, patriotique, étrangère à toute intrigue, de l'ancien parti de gouvernement (et c'est de beaucoup la plus considérable) doit se rallier autour de nous. C'est, dans le présent, une force immense; dans l'avenir, un succès presque certain. Gardez cette position. Je vous y aiderai d'ici, car je la garderai également. Nous n'avons pas, ce me semble, de meilleure ni de plus s?re conduite à tenir.?
M. Duchatel a de premières impressions très-vives, et s'abandonne quelquefois un peu vivement, en paroles, à ses premières impressions; mais à l'heure de la réflexion sérieuse et de la résolution définitive, je ne connais point de jugement ni d'honneur plus s?r que le sien. Il avait laissé para?tre quelque désir que je revinsse sur-le-champ à Paris prendre ma place dans la lutte qu'il prévoyait; mais il comprit et approuva pleinement mes raisons pour rester à Londres, et il m'en donna une assurance à laquelle j'attachais beaucoup de prix.
J'avais également à coeur de m'expliquer sans réserve avec M. de Rémusat, prévoyant, comme il le prévoyait lui-même, que la voie dans laquelle il entrait pourrait bien un jour compliquer tristement des relations qui me resteraient chères, même quand elles cesseraient d'être intimes. Je lui écrivis le 5 mars:
?Mon cher ami, j'ai attendu le Moniteur pour vous répondre. J'y ai bien pensé; je reste à mon poste. J'y reste sérieusement. Je concourrai loyalement. Je ne me séparerai pas, sur le seul indice des noms propres et à cause de l'embarras des situations, d'un cabinet où vous êtes, et que le duc de Broglie a tant contribué à former. Votre pente est périlleuse; elle l'est surtout à cause de votre propre nature à vous, de ce go?t aventureux dont vous me parlez vous-même, et qui ne peut guère trouver sa satisfaction que vers la gauche. Croyez-moi; il y a par moments de la force à prendre dans la gauche, jamais un point d'appui permanent. Elle ne possède ni le bon sens pratique ni les vrais principes, les principes moraux du gouvernement, et moins du gouvernement libre que de tout autre. Elle n'a de quoi satisfaire et soutenir ni l'homme d'affaires ni le philosophe. Elle ébranle et énerve, au lieu de les affermir, les deux bases de l'ordre social, les intérêts réguliers et les croyances morales. Elle peut donner, elle a donné quelquefois des secousses utiles et glorieuses; son influence prolongée, sa domination abaissent et dissolvent, t?t ou tard, le pouvoir et la société. Vous me dites que le ministère se forme sur cette idée: point de réforme électorale, point de dissolution. Permettez-moi d'en prendre acte, car j'en ai besoin pour moi-même. Je ne puis marcher que sous ce drapeau et dans cette voie. Si le cabinet s'en écartait, je serais contraint de me séparer de lui.?
Ce ne fut pas seulement à mes intimes amis, aux principaux acteurs politiques que je fis ainsi bien conna?tre les motifs et les limites de ma résolution; je voulus que le gros du parti conservateur, les spectateurs et les juges de la lutte parlementaire en fussent aussi positivement informés; et j'écrivis, le 8 mars, à l'un des plus éclairés, M. Molin, député du Puy-de-D?me: ?Mon cher collègue, après y avoir bien pensé, je me suis décidé à rester, quant à présent, à mon poste. Il arrivera l'une de ces trois choses: ou le cabinet luttera contre le vice de son origine et de sa pente; dans ce cas, j'aiderai, dans cette lutte, à la bonne cause; je pèserai du bon c?té: ou le cabinet succombera bient?t sous sa mauvaise position; dans ce cas, j'aurai fait preuve de modération et d'équité; je serai resté un peu en dehors de ces luttes de personnes, de ces décompositions de partis, de ces incompatibilités, impossibilités, séparations et alliances précaires dans lesquelles je me suis engagé, depuis quelques années, plus vivement que nul autre, et qui nous ont tant embarrassés et lassés, le pays et nous-mêmes. Ou bien, enfin, le cabinet vivra en marchant du c?té où il penche, et dans ce cas, dès que les actions iront à gauche, je
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