l'un pour l'autre, un prompt et naturel attrait.
Dans ce premier flot de rencontres et de visites, je n'avais pas vu le plus considérable des hommes considérables de l'Angleterre, le duc de Wellington. Il n'était pas à Londres. La première fois que je le rencontrai, son aspect me surprit; je le trouvai vieilli, maigri, rapetissé, vo?té, fort au delà des exigences de son age; il regardait avec ces yeux vagues et éteints où l'ame près de s'enfuir semble ne plus prendre la peine de se montrer; il parlait de cette voix courte et chancelante dont la faiblesse ressemble à l'émotion d'un dernier adieu. La conversation une fois engagée, toute sa ferme et précise intelligence était là, mais avec fatigue et soutenue par l'énergie de sa volonté. Il s'excusa de n'être pas encore venu chez moi, selon l'usage: ?J'étais à la campagne, me dit-il, j'ai besoin de la campagne.? La décadence physique était frappante à c?té de la vigueur morale et de l'importance publique encore intactes.
Le jeudi 5 mars, je d?nai pour la première fois chez la reine. Ni pendant le d?ner, ni dans le salon après le d?ner, la conversation ne fut animée et intéressante; tout sujet politique en était écarté; nous étions assis autour d'une table ronde, devant la reine établie sur un canapé; deux ou trois de ses dames essayaient de travailler à je ne sais plus quels ouvrages; le prince Albert jouait aux échecs; nous soutenions assez péniblement, lady Palmerston et moi, un entretien languissant. Je remarquai, au-dessus des trois portes du salon, trois portraits: Fénelon, le czar Pierre le Grand et la fille de lord Clarendon, Anne Hyde, la première femme de Jacques II. Je m'étonnai de ce rapprochement de trois personnages si parfaitement incohérents. Personne n'y avait fait attention, et personne n'en put dire la raison. J'en trouvai une: on avait choisi ces portraits à la taille; ils allaient bien aux trois places.
Le lendemain 6 mars, la reine tint un lever au palais de Saint-James; longue et monotone cérémonie qui pourtant m'inspira un véritable intérêt. Je regardais avec une estime émue le respect profond de tout ce monde, gens de cour, de ville, de robe, d'église, d'épée, passant devant la reine, la plupart mettant un genou en terre pour lui baiser la main, tous parfaitement sérieux, sincères et gauches. Il faut cette sincérité et ce sérieux pour que ces anciens habits, ces perruques, ces bourses, ces costumes que personne, même en Angleterre, ne porte plus que pour venir là, ne fassent pas un effet un peu ridicule. Mais je suis peu sensible au ridicule des dehors quand le dedans ne l'est pas.
Au moment même où je commen?ais ainsi à m'établir à Londres, j'avais à résoudre la question de savoir si j'y resterais, si je devais vouloir y rester. Le cabinet qui m'avait appelé à cette ambassade tombait à Paris; le maréchal Soult, M. Duchatel, M. Passy, M. Dufaure donnaient leur démission. Le rejet, par la Chambre des députés, de la dotation qu'ils avaient proposée pour M. le duc de Nemours, rejet prononcé sans discussion et par un vote indirect qui ressemblait fort à une surprise, les avait offensés autant qu'affaiblis. Le Roi essaya vainement de les retenir. Ils avaient un juste sentiment des difficultés de la situation et des faiblesses de la majorité qui venait de leur manquer, par imprévoyance plut?t qu'à dessein: ?Quand je devrais me retirer seul, je me retirerais,? disait M. Duchatel. Le cabinet du 12 mai 1839 s'était formé courageusement contre une émeute; il se retira, le 29 février 1840, devant un échec parlementaire qu'un débat hardiment provoqué lui aurait peut-être épargné.
Ce ne fut certainement pas sans quelque déplaisir que le Roi fit appeler alors M. Thiers, et le chargea de former un cabinet. Il lui en co?tait de prendre pour premier ministre l'un des principaux chefs de la coalition. C'était le rejet de la dotation de M. le duc de Nemours qui ouvrait à M. Thiers la porte du pouvoir. Le Roi craignait, de sa part, dans les affaires extérieures, des dispositions un peu trop belliqueuses et aventureuses. Ceux qui font de ces sentiments personnels un tort constitutionnel au roi Louis-Philippe sont de pauvres moralistes et de bien superficiels politiques; une couronne placée sur la tête d'un homme ne supprime pas en lui la nature humaine, et pour ne pouvoir gouverner que de concert avec les Chambres et par des ministres responsables, un roi ne devient pas une machine. Tout ce qu'on a droit de lui demander et d'attendre de lui, c'est qu'il accepte, en dernière analyse, les conseillers que les Chambres lui présentent, et qu'après les avoir acceptés, il ne travaille pas, sous main, à les contrecarrer et à les renverser. Le roi Louis-Philippe n'a jamais manqué ni à l'un ni à l'autre de ces devoirs; il portait quelquefois trop
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