l'état des esprits, soit sur la question spéciale du projet de loi, soit sur la situation générale du gouvernement. Tous les partis y prirent part; tous les systèmes s'y produisirent. Pour les deux partis hostiles à la monarchie de Juillet, le républicain et le légitimiste, la difficulté était grande; l'inquiétude publique suscitée par la mort de M. le duc d'Orléans exaltait le sentiment dynastique, et à aucun moment depuis 1830 l'attaque contre la royauté nouvelle ne pouvait choquer davantage le pays et être plus rudement repoussée. Exposée par M. Ledru-Rollin avec une hardiesse qui ne manquait pas d'habileté, la théorie radicale du pouvoir constituant et de la nécessité d'un appel au peuple pour conférer la régence souleva de violents murmures et n'eut pas besoin d'une longue réfutation. Je la rejetai en quelques paroles: ?Si l'on prétend, dis-je, qu'il existe ou qu'il doit exister au sein de la société deux pouvoirs, l'un ordinaire, l'autre extraordinaire, l'un constitutionnel, l'autre constituant, l'un pour les jours ouvrables, permettez-moi cette expression, l'autre pour les jours fériés, on dit une parole insensée, pleine de dangers et fatale. Le gouvernement constitutionnel, c'est la souveraineté sociale organisée. Hors de là il n'y a que la société flottant au hasard, aux prises avec les chances d'une révolution. On n'organise pas les révolutions; on ne leur assigne pas une place et des procédés légaux dans le cours des affaires des peuples. Aucun pouvoir humain ne gouverne de tels événements; ils appartiennent à un plus grand ma?tre. Dieu seul en dispose; et quand ils éclatent, Dieu emploie, pour reconstituer la société ébranlée, les instruments les plus divers. J'ai vu dans le cours de ma vie, trois pouvoirs constituants: en l'an VIII, Napoléon; en 1814, Louis XVIII; en 1830, la Chambre des députés. Voilà la vérité, la réalité; tout ce dont on vous parle, ces votes, ces bulletins, ces registres ouverts, ces appels au peuple, tout cela c'est de la fiction, du simulacre, de l'hypocrisie. Soyez tranquilles, messieurs; nous, les trois pouvoirs constitutionnels, nous sommes les seuls organes légitimes et réguliers de la souveraineté nationale. Hors de nous, il n'y a qu'usurpation ou révolution.? M. Thiers, qui se sépara nettement de l'opposition pour appuyer le projet de loi, fut plus sévère encore pour le pouvoir constituant: ?J'en ai parlé, dit-il, dans mon bureau avec peu de respect, et je m'en excuse; mais savez-vous pourquoi j'ai montré pour le pouvoir constituant si peu de respect? C'est qu'en effet je ne le respecte pas du tout. J'admets la différence qu'il y a entre l'article de la Charte et un article de loi; mais cela ne fait pas que je croie au pouvoir constituant. Le pouvoir constituant a existé, je le sais; il a existé à plusieurs époques de notre histoire; mais, permettez-moi de vous le dire, s'il était le vrai souverain, s'il était au-dessus des pouvoirs constitués, il aurait cependant joué par lui-même un triste r?le. En effet il a été, dans les assemblées primaires, à la suite des factions; sous le Consulat et sous l'Empire, il a été au service d'un grand homme; il n'avait pas alors la forme d'assemblée primaire; il avait la forme d'un sénat conservateur qui, à un signal donné par cet homme qui faisait tout plier sous l'ascendant de son génie, faisait toutes les constitutions qu'il lui demandait. Sous la Restauration, il a pris une autre forme; il s'est caché sous l'article XIV de la Charte; c'était le pouvoir d'octroyer la Charte et de la modifier. Voilà les divers r?les qu'a joués le pouvoir constituant depuis cinquante ans. Ne dites pas que c'est la gloire de notre histoire, car les victoires de Zurich, de Marengo et d'Austerlitz n'ont rien de commun avec ces misérables comédies constitutionnelles. Je ne respecte donc pas le pouvoir constituant.?
M. Berryer seul pouvait, dans cette circonstance comme dans tant d'autres, suffire à la situation de son parti et à la sienne propre. Ce n'est pas seulement par l'élévation et la souplesse de son esprit, par l'entra?nement et le charme de son éloquence qu'il a si longtemps surmonté les insurmontables difficultés d'un r?le couvert et extra-légal dans un régime de légalité, de publicité et de liberté. Il puise à d'autres sources encore sa populaire puissance. Quoiqu'il ait vécu en homme de parti, M. Berryer sent en patriote; il n'est étranger à aucun des instincts, à aucune des émotions et des aspirations de son pays; non-seulement il comprend, mais il partage les joies et les tristesses nationales; il a soutenu les droits et les traditions des temps anciens, et il est, autant que personne, homme du temps actuel et attaché aux droits que les générations modernes ont conquis; il a combattu le gouvernement le plus libre qu'ait jamais possédé la France, et il aime, il veut sincèrement la liberté. Nature large, prompte, facile et sympathique, il peut
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