l'influence patiente par le respect du droit et les exemples de la bonne politique au lieu de l'intervention imprévoyante de la force, en même temps, dis-je, notre histoire depuis 1789, tant de secousses, de révolutions et de guerres nous ont laissé un ébranlement fébrile qui nous rend la paix fade et nous fait trouver, dans les coups imprévus d'une politique hasardeuse, un plaisir aveugle. Nous sommes en proie à deux courants contraires, l'un profond et régulier, qui nous porte vers le but définitif de notre état social, l'autre superficiel et agité, qui nous jette de c?té et d'autre à la recherche de nouvelles aventures et de terres inconnues. Et nous flottons, nous alternons entre ces deux directions opposées, appelés vers l'une par notre bon sens et notre sens moral, entra?nés vers l'autre par nos routines et nos fantaisies d'imagination.
Ce fut, dès ses premiers jours, le mérite et la gloire du gouvernement de 1830 de ne point hésiter devant cette alternative, de bien comprendre le véritable et supérieur esprit de la civilisation moderne, et de le prendre pour règle de sa conduite, malgré les tentations et les menaces de l'esprit de propagande armée et de conquête. De 1830 à 1832, cette bonne et grande politique avait triomphé dans la lutte. En 1840, quand le cabinet du 29 octobre se forma, elle fut mise à une nouvelle épreuve. Tout notre régime constitutionnel, roi, Chambres et pays eurent de nouveau à décider s'ils feraient la guerre sans motifs suffisants et légitimes, par routine et entra?nement, non par intérêt public et nécessité.
Malgré la pesanteur du fardeau, je m'estimai heureux et honoré de devenir, dans cette circonstance, l'interprète et le défenseur de la politique qui avait mon entière et intime adhésion. J'ai go?t aux entreprises à la fois sensées et difficiles, et je ne connais, dans la vie publique, point de plus profond plaisir que celui de lutter pour une grande vérité nouvelle encore et mal comprise. Rien, à mes yeux, n'importait plus à mon pays que de sortir des ornières d'une politique extérieure aventurière et imprévoyante pour entrer dans des voies plus dignes en même temps que plus s?res. Pendant mon séjour à Londres, j'avais acquis la conviction que, pour la plupart des puissances qui l'avaient signé, le traité du 15 juillet 1840 n'était point l'oeuvre d'un mauvais vouloir prémédité envers la France et son gouvernement, et que, malgré le procédé dont nous avions à nous plaindre, le cabinet anglais n'avait pas cessé de mettre, à ses bons rapports avec nous, beaucoup de prix. L'Autriche et la Prusse avaient grandement à coeur le maintien de la paix. L'empereur Nicolas lui-même se souciait peu que sa malveillance f?t obligée de devenir hardie. Loin donc de craindre qu'on essayat, en Europe, d'aggraver et d'exploiter, contre nous, l'isolement où nous nous trouvions, j'avais lieu d'espérer qu'on s'appliquerait à le faire cesser, et que ma présence aux affaires ne serait pas inutile à ce résultat. Le ferme et sincère appui du roi Louis-Philippe m'était assuré: enclin, dans les premiers moments, à ne pas combattre, quelquefois même à partager les impressions populaires, il ne tardait pas à en reconna?tre l'étourderie et le péril, et il leur résistait alors avec un persévérant courage. Il avait cru que Méhémet-Ali se défendrait mieux et que le cabinet anglais n'agirait pas sans le concours de la France. Mais, avant même d'être revenu de cette double illusion, il pressentait que, dans cette affaire, la paix européenne, base de sa politique générale, pourrait finir par être compromise, et je ne pouvais douter qu'il ne f?t résolu à ne pas se laisser dériver jusqu'à cet écueil. Il me témoigna sur-le-champ une confiance et une bienveillance si marquées que personne autour de lui ne put s'y méprendre et ne crut pouvoir se permettre ces froideurs frivoles ou ces petites hostilités voilées qui sont l'impertinent plaisir des oisifs de cour. Il me tenait au courant des moindres incidents et de toutes ses propres démarches, ne voulant rien faire qu'à ma connaissance et avec mon conseil: ?Je re?ois à l'instant même, m'écrivait-il le 31 octobre 1840, une lettre d'hier du roi Léopold qui me fait des questions auxquelles je voudrais pouvoir répondre par la poste d'aujourd'hui. Cependant, avant de le faire, je désire en causer un instant avec vous, et je vous prie de venir un moment chez moi, si cela vous est possible.? Et le surlendemain, 2 novembre: ?Les articles du Morning-Chronicle, du Times et du Globe, que je viens de lire, me paraissent importants, et je désire que vous me fournissiez l'occasion d'en causer avec vous le plus t?t que vous pourrez. Je ne sortirai pas de chez moi avant que vous n'y soyez venu, afin qu'on n'ait pas à m'aller chercher, et de vous prendre le moins de temps possible.? Il m'avertissait des germes de dissentiment,
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