Mémoires du sergent Bourgogne | Page 5

Adrien-Jean-Baptiste-François Bourgogne
fut de cette manière que nous
arrivâmes à Bayonne, première ville de France.
Partant de cette ville, nous prîmes la poste et nous arrivâmes à Paris où
nous pensions nous reposer. Mais, après un séjour de quarante-huit
heures, l'Empereur nous passa en revue, et jugeant que le repos était
indigne de nous, nous fit faire demi-tour et marcher en colonnes, par
pelotons, le long des boulevards, ensuite tourner à gauche dans la rue
Saint-Martin, traverser la Villette, où nous trouvâmes plusieurs
centaines de fiacres et autres voitures qui nous attendaient. L'on nous fit
faire halte, ensuite monter quatre dans la même voiture et, fouette
cocher! jusqu'à Meaux, puis sur des chariots jusqu'au Rhin, en
marchant jour et nuit.
Nous fîmes séjour à Mayence, puis nous passâmes le Rhin; ensuite
nous traversâmes à pied le grand-duché de Francfort[10], la Franconie,
la Saxe, la Prusse, la Pologne. Nous passâmes la Vistule à
Marienwerder, nous entrâmes en Poméranie, et, le 25 juin au matin, par
un beau temps, non pas par un temps affreux, comme le dit M. de

Ségur, nous traversâmes le Niémen sur plusieurs ponts de bateaux que
l'on venait de jeter, et nous entrâmes en Lithuanie, première province
de Russie.
[Note 10: Francfort avait été érigé en grand-duché, en 1806, par
Napoléon, en faveur de l'électeur de Mayence.]
Le lendemain, nous quittâmes notre première position et nous
marchâmes jusqu'au 29, sans qu'il nous arrivât rien de remarquable;
mais, dans la nuit du 29 au 30, un bruit sourd se fit entendre: c'était le
tonnerre qu'un vent furieux nous apportait. Des masses de nuées
s'amoncelaient sur nos têtes et finirent par crever. Le tonnerre et le vent
durèrent plus de deux heures. En quelques minutes, nos feux furent
éteints; les abris qui nous couvraient, enlevés; nos faisceaux d'armes
renversés. Nous étions tous perdus et ne sachant où nous diriger. Je
courus me réfugier dans la direction d'un village où était logé le
quartier général. Je n'avais, pour me guider, que la lueur des éclairs.
Tout à coup, à la lueur d'un éclair, je crois apercevoir un chemin, mais
c'était un canal qui conduisait à un moulin que les pluies avaient enflé,
et dont les eaux étaient au niveau du sol. Pensant marcher sur quelque
chose de solide, je m'enfonce et disparais. Mais, revenu au-dessus de
l'eau, je gagne l'autre bord à la nage. Enfin, j'arrive au village, j'entre
dans la première maison que je rencontre et où je trouve la première
chambre occupée par une vingtaine d'hommes, officiers et domestiques,
endormis. Je gagne le mieux possible un banc qui était placé autour
d'un grand poêle bien chaud, je me déshabille, je m'empresse de tordre
ma chemise et mes habits, pour en faire sortir l'eau, et je m'accroupis
sur le banc, en attendant que tout soit sec; au jour, je m'arrange le
mieux possible, et je sors de la maison pour aller chercher mes armes et
mon sac, que je retrouve dans la boue.
Le lendemain 30, il fit un beau soleil qui sécha tout, et, le même jour,
nous arrivâmes à Wilna, capitale de la Lithuanie, où l'Empereur était
arrivé, depuis la veille, avec une partie de la Garde.
Pendant le temps que nous y restâmes, je reçus une lettre de ma mère,
qui en contenait une autre à l'adresse de M. Constant, premier valet de
chambre de l'Empereur, qui était de Péruwelz[11], Belgique. Cette

lettre était de sa mère, avec qui la mienne était en connaissance. Je fus
où était logé l'Empereur pour la lui remettre, mais je ne rencontrai que
Roustan, le mameluck de l'Empereur, qui me dit que M. Constant
venait de sortir avec Sa Majesté. Il m'engagea à attendre son retour,
mais je ne le pouvais pas, j'étais de service. Je lui donnai la lettre pour
la remettre à son adresse, et je me promis de revenir voir M. Constant.
Mais le lendemain, 16 juillet, nous partîmes de cette ville.
[Note 11: Gros bourg belge à sept kilomètres de Condé, lieu de
promenade fréquenté, à cause du pèlerinage de Bonsecours.]
Nous en sortîmes à dix heures du soir, en marchant dans la direction de
Borisow, et nous arrivâmes, le 27, à Witebsk, où nous rencontrâmes les
Russes. Nous nous mîmes en bataille sur une hauteur qui dominait la
ville et les environs. L'ennemi était en position sur une hauteur à droite
et à gauche de la ville. Déjà la cavalerie, commandée par le roi Murat,
avait fait plusieurs charges. En arrivant, nous vîmes 200 voltigeurs du
9e de ligne, et tous Parisiens, qui, s'étant trop engagés, furent
rencontrés par une partie de la cavalerie russe que l'en venait de
repousser.
Nous les regardions comme perdus, si l'on n'arrivait assez tôt pour les
secourir, à cause des ravins et de la rivière qui empêchait d'aller
directement à eux. Mais ils
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