Mémoires du sergent Bourgogne | Page 4

Adrien-Jean-Baptiste-François Bourgogne
ne
retrouve aucune trace de ses services. M. de Vatimesnil est obligé de
former un dossier qu'il envoie le 24 septembre. Deux mois après, le 10

novembre, l'ancien vélite est enfin nommé lieutenant-adjudant de place,
mais à Brest, et non à Condé! C'était bien loin, mais enfin il avait un
pied à l'étrier, et puis la croix vint, le 21 mars 1831, l'aider à prendre
patience, sinon à oublier le sol natal. De nouvelles démarches sont
faites pour le poste d'adjudant de place à Valenciennes. Il n'y omet
point son titre d'électeur, important alors. Son voeu fut enfin exaucé le
25 juillet 1832, et l'on se souvient encore, à Valenciennes, des services
qu'il rendit, notamment pendant les troubles de 1848. Ses droits à la
retraite lui valurent, en 1853, une pension de douze cents francs[7].
[Note 7: Nous avons trouvé les lettres de M. de Vatimesnil dans le
dossier militaire de Bourgogne, aux Archives de la Guerre.]
Il mourut, octogénaire, le 15 avril 1867, deux années après le
légendaire Coignet, qui alla jusqu'à quatre-vingt-dix ans. On voit que
leur rude existence n'avait pas suffi pour hâter leur fin. Il est vrai qu'il
fallait être exceptionnellement solide pour avoir survécu.
Malheureusement, des souffrances physiques empoisonnèrent ses
derniers jours. Elles ne lui enlevèrent, toutefois, ni la belle humeur, ni
la philosophie qui formait le fond de son caractère. Une de ses nièces,
Mme Bussière, veuve d'un chef d'escadrons d'artillerie, était d'ailleurs
venue, après la mort de sa seconde femme, victime du choléra qui sévit
à Valenciennes en 1866, adoucir, par des soins dévoués, l'amertume de
ses maux.
Le portrait de notre héros, qui a pris place en tête du volume, est la
reproduction d'une lithographie représentant Bourgogne à l'âge de
quarante-cinq ans, avec l'air officiellement sévère et le regard un peu
dur de l'adjudant de place, personnification vivante de la consigne.
Mais ce que nous savons de sa bonté naturelle montre que c'est ici le
cas d'appliquer le précepte du poète:
Garde-toi, tant que tu vivras. De juger les gens sur la mine!
Ajoutons qu'au temps de sa jeunesse il passait, non sans raison, pour un
beau soldat: sa haute stature, son air martial imposaient[8].

[Note 8: Voici, d'après une note de ses Mémoires, la liste des grandes
batailles auxquelles Bourgogne prit part: Iéna, Pultusk, Eylau, Eilsberg,
Friedland, Essling, Wagram, Somo-Sierra, Bénévent, Smolensk, la
Moskowa, Krasnoé, la Bérézina, Lutzen et Bautzen: «Ajouté à cela,
dit-il, plus de vingt combats et autres divertissements semblables.»]
Selon notre coutume, nous n'avons fait d'autres modifications au texte
que la rectification de l'orthographe et la suppression des phrases
inutiles. Moins scrupuleux s'est montré un journal disparu (l'Écho de la
Frontière) qui a donné, en 1857, une partie des Mémoires de
Bourgogne, en les corrigeant si bien qu'il les a dépouillés de leur
couleur originale.
La collection de l'Écho de la Frontière est des plus rares: le seul
exemplaire que nous en connaissions se trouve à la bibliothèque de
Valenciennes. Son feuilleton de Bourgogne fut tiré à part; nous n'avons
pu en retrouver que de rares exemplaires. Ce tirage à part ne contient
même qu'une partie du texte publié par le journal, et ne dépasse point la
page 176 du présent volume. L'Écho de la Frontière conduit le lecteur
jusqu'à la page 286. Nous avons donc regardé ces Mémoires comme
ayant la valeur d'une oeuvre inédite, jusqu'à leur publication, en 1896,
dans la Nouvelle Revue rétrospective[9].
[Note 9: Le Mémoires de Bourgogne ont paru, pour la première fois in
extenso d'après le manuscrit original, dans la Nouvelle Revue
rétrospective, consacrée, depuis quatorze ans, à la publication de
documents concernant notre histoire nationale, depuis deux siècles.]
Le manuscrit original, qui avait été déposé, en 1891, à la bibliothèque
de Valenciennes, vient d'être remis entre les mains de la fille de
Bourgogne, Mme Defacqz. Il se compose de six cent seize pages
in-folio, presque toutes de la main de l'auteur. Nous restons les obligés
de M. Auguste Molinier, qui, le premier, a songé à en offrir la
publication à la Nouvelle Revue rétrospective, et de M. Edmond Martel,
qui a bien voulu faire, pour nous, des recherches sur la famille
Bourgogne, à Valenciennes et à Condé.
Nommons encore les neveux de notre héros, M. le docteur Bourgogne

et M. Amédée Bourgogne; M. Loriaux, son ancien propriétaire; M.
Paul Marmottan, et nous aurons fait apprécier l'importance, comme la
multiplicité des concours apportés à notre oeuvre. Leur constatation
reste, en même temps, notre première garantie.

MÉMOIRES DU SERGENT BOURGOGNE (1812-1813)

I
D'Almeida à Moscou.
Ce fut au mois de mars 1812, lorsque nous étions à Almeida, en
Portugal, à nous battre contre l'armée anglaise, commandée par
Wellington, que nous reçûmes l'ordre de partir pour la Russie.
Nous traversâmes l'Espagne, où chaque jour de marche fut marqué par
un combat, et quelquefois deux. Ce
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