c'était une habitude. Elles recommencèrent à plusieurs reprises, et le roi fut obligé de les gourmander à plusieurs reprises. Un jour, madame la princesse de Conti, à haute voix, devant toute la cour, appela madame de Chartres ?sac à vin.? Celle-ci, faisant allusion aux basses galanteries de l'autre, riposta par ?sac à guenilles.? Les effets se devinent: ?madame la duchesse de Bourgogne fit un souper à Saint-Cloud avec madame la duchesse de Berry. Madame la duchesse de Berry et M. le duc d'Orléans, mais elle bien plus que lui, s'y enivrèrent au point que madame la duchesse de Bourgogne, madame la duchesse d'Orléans, et tout ce qui était là ne surent que devenir. L'effet du vin, par haut et bas, fut tel qu'on en fut en peine, et ne la désenivra point, tellement qu'il fallut la ramener en cet état à Versailles. Tous les gens des équipages le virent, et ne s'en turent pas.? C'était la régence avant la régence. Les énormes soupers de Louis XIV et les indigestions de Monseigneur ?tout noyé dans l'apathie et dans la graisse,? en donnaient un avant-go?t.
A tout le moins, le roi se respecte; s'il avale en loup, il mange en monarque. Sa table est noble; on n'y voit point les bouffonneries d'une cour du moyen age, ni les grossières plaisanteries d'un régal d'étudiants. Attendez; voici un de ces soupers et un de leurs personnages: ?Madame Panache était une petite et fort vieille créature avec des lippes et des yeux éraillés à faire mal à ceux qui la regardaient, une espèce de gueuse qui s'était introduite à la cour sur le pied d'une manière de folle, qui était tant?t au souper du roi, tant?t au d?ner de Monseigneur et de madame la Dauphine, où chacun se divertissait de la mettre en colère, et qui chantait pouille aux gens à ces d?ners-là pour faire rire, mais quelquefois fort sérieusement et avec des injures qui embarrassaient et divertissaient encore plus les princes et les princesses, qui lui emplissaient ses poches de viandes et de rago?ts, dont la sauce découlait tout du long de ses jupes; les autres lui donnaient une pistole ou un écu, les autres des chiquenaudes et des croquignoles dont elle entrait en furie; parce qu'avec des yeux pleins de chassie, elle ne voyait pas au bout de son nez, ni qui l'avait frappée, et c'était le passe-temps de la cour.? Aujourd'hui l'homme qui s'amuserait d'un tel passe-temps passerait probablement pour un goujat de bas étage, et je ne raconterai pas ici ceux qu'on prit avec la princesse d'Harcourt.
On répondra que ces gens s'ennuyaient, que ces moeurs étaient une tradition, qu'un amusement est un accident, qu'au fond le coeur n'était pas vil: ?Nanon, la vieille servante de madame de Maintenon, était une demi-fée à qui les princesses se trouvaient heureuses quand elles avaient occasion de parler et d'embrasser, toutes filles de roi qu'elles étaient, et à qui les ministres qui travaillaient chez madame de Maintenon faisaient la révérence bien bas.? L'intendant Voysin, petit roturier, étant devenu ministre, ?jusqu'à Monseigneur se piqua de dire qu'il était des amis de madame Voysin, depuis leur connaissance en Flandre.? On verra dans Saint-Simon comment Louvois, pour se maintenir, br?la le Palatinat, comment Barbezieux, pour perdre son rival, ruina nos victoires d'Espagne. Les belles fa?ons et le superbe cérémonial couvrent les bassesses et les trahisons; on est là comme à Versailles, contemplant des yeux la magnificence du palais, pendant que l'esprit compte tout bas les exactions, les misères et les tyrannies qui l'ont bati. J'omets les scandales; il y a des choses qu'aujourd'hui on n'ose plus écrire, et il faut être Saint-Simon, duc et pair, historien secret, pour parler de M. de Brissac, du chevalier de Lorraine et de madame de Valentinois. Là-dessus les Mémoires de Madame nous édifieraient encore davantage. Les moeurs nobles au XVIIe siècle, comme les moeurs chevaleresques au XIIe, ne furent guère qu'une parade. Chaque siècle joue la sienne et fabrique un beau type: celui-ci le chevalier, celui-là l'homme de cour. Il serait curieux de démêler le chevalier vrai sous le chevalier des po?mes. Il est curieux, quand on a connu l'homme de cour par les écrivains et par les peintres, de conna?tre par Saint-Simon le véritable homme de cour.
Rien de plus vide que cette vie. Vous devez attendre, suer et bailler intérieurement, six ou huit heures chaque jour chez le roi. Il faut qu'il connaisse de longue vue votre visage; sinon vous êtes un mécontent. Quand on demandera une grace pour vous, il répondra: ?Qui est-il? C'est un homme que je ne vois point.? Le premier favori, l'homme habile, le grand courtisan est le duc de la Rochefoucauld: suivez son exemple. ?Le lever, le coucher; les deux autres changements d'habits tous les jours, les chasses et les promenades du roi, tous les jours aussi,
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