Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 9

Duc de Rovigo
toujours aux aguets du vent qui souffle, et qui
trouvèrent le moyen de s'introduire dans la secrétairerie d'État: en sorte
que ce n'était pas assez d'être agréé par le ministre dans le département
duquel on était placé, il fallait encore être agréable au secrétaire d'État

et à ses amis, d'abord pour être nommé, puis ensuite pour être conservé,
et être à l'abri de toute atteinte et des suites de mauvais rapports.
Cette manière de travailler commença à Varsovie; elle était trop
commode à l'empereur, auquel on ne parlait pas des plaintes qu'elle
excitait, et trop avantageuse à quelqu'un qui recherchait le pouvoir,
pour qu'elle changeât jamais. Les ministres, malgré leur répugnance,
durent s'y soumettre, mais n'en furent pas plus satisfaits[3].
Je n'ai cité ceci que parce que j'ai vu, quelques années après, combien
de mal nous en avons éprouvé: j'ai été le premier à oser en faire la
remarque à l'empereur, et à lui dire que les nombreux ennemis que tout
cela nous faisait se réunissaient à ceux que nous n'avions pas cessé
d'avoir, et qu'un jour pourrait venir où le tort qu'ils nous feraient serait
irréparable.

CHAPITRE III.
Les Russes essaient de nous surprendre dans nos quartiers
d'hiver.--Mouvement de Mohrungen.--L'empereur me confie le
commandement du 5e corps.--Bataille d'Eylau.--Bernadotte.--Affaire
d'Ostrolenka.
Le mois de janvier s'écoulait assez paisiblement; l'armée se reposait; la
tête de l'empereur n'était guère occupée de ce qui se passait à Paris,
mais bien de ce qui pouvait arriver autour de lui.
L'Autriche venait de rassembler un corps d'observation de quarante
mille hommes en Bohême; il pouvait devenir offensif le lendemain d'un
revers, surtout depuis que les souverains avaient adopté de ne plus
déclarer la guerre que par les hostilités, sans avertir ni faire connaître de
motifs.
L'empereur était très-préoccupé de ce qui pourrait résulter dans un cas
de succès comme dans un cas de malheur, et allait se déterminer à
tenter une nouvelle ouverture, lorsqu'une entreprise de l'armée russe
vint l'obliger de remettre la sienne en mouvement, le 31 janvier, par une

gelée à fendre les pierres. Voici comment cela arriva:
Le corps du maréchal Bernadotte était à notre extrême gauche; son
quartier-général était à Mohrungen. Il avait ordre d'étendre sa gauche le
plus possible, mais de manière à ne donner aucune inquiétude à
l'ennemi, avec lequel on voulait passer l'hiver en repos. Dans cette
position, il couvrait les opérations que l'on se disposait à ouvrir devant
Dantzick, et pour lesquelles on rassemblait un corps dont je parlerai
plus bas. On avait envoyé le général Victor pour en prendre le
commandement; mais il fut enlevé en chemin par un parti prussien sorti
de Colberg, et qui ne craignit pas de pousser jusqu'aux environs de
Varsovie.
Le maréchal Lefebvre fut envoyé pour remplacer le général Victor. La
rigueur de la saison ne permettait pas d'ouvrir la terre devant Dantzick.
La garnison n'entreprenait rien; ainsi le complétement du corps qui
devait agir contre cette place ne devenait pas pressant: on se contenta
d'observer.
À la droite du maréchal Bernadotte était le maréchal Ney, qui avait,
comme tout le monde, l'ordre de se tenir en repos. Tout à coup il lui
prend fantaisie, sans ordre, de porter son corps d'armée en avant. On lui
imputa des intentions d'intérêt personnel; on eut tort: on ne met pas une
armée en marche pour cela. À la vérité, le maréchal Ney marcha sans
en avoir reçu l'ordre, et découvrit, par son mouvement, la droite du
maréchal Bernadotte; mais aussi il rencontra en pleine route l'armée
russe qui venait à l'improviste fondre sur Bernadotte par son centre;
mouvement qui, sans cela, serait resté ignoré. Ney donna de suite
l'alarme à toute l'armée, jusqu'à Varsovie.
On fut bientôt revenu de l'opinion que l'ennemi ne voulait que
repousser des maraudeurs. On se convainquit qu'il était en pleine
opération, dans l'espérance de nous surprendre dans nos cantonnemens,
de pouvoir nous jeter au-delà de la Vistule, et, selon les circonstances,
achever l'hivernage sur ses bords, ou passer ce fleuve sur le pont de
Dantzick.
Il n'y avait pas un moment à perdre; l'ennemi avait déjà l'initiative sur

nous, lorsque l'empereur envoya ordre à ses différens corps d'armée de
se centraliser, et de le rejoindre sur la route de Varsovie à Koenigsberg.
Il ordonna à Bernadotte de refuser sa gauche, et de se retirer lui-même,
s'il y était obligé, de manière à refuser toute la gauche de l'armée, et de
laisser l'ennemi s'enfoncer sur la Basse-Vistule; c'est ce qu'exécuta ce
maréchal. Il revint jusqu'à une petite ville qu'on appelle Strasbourg.
L'ennemi, en s'avançant sur notre gauche, nous donnait autant d'avance
par notre droite, qui marchait toujours, que lui-même en prenait du côté
opposé.
L'armée russe, indépendamment de sa masse principale, qui partait de
Koenigsberg, avait un corps de vingt-deux mille hommes en
observation sur le Bug, et menaçant Varsovie.
Les choses
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