Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 8

Duc de Rovigo
le droit à Paris. Ce dernier,
étant d'un caractère jésuitique, fut goûté par Mallet, qui, la veille du
jour où il devait exécuter son projet, dit à ce jeune homme d'aller au
Palais-Royal acheter une écharpe aux trois couleurs; il lui donna en
même temps une lettre pour sa femme, à laquelle il mandait de mettre
ses uniformes et ses armes dans sa malle, ainsi que ceux
d'aide-de-camp qu'il avait chez lui (probablement à dessein) et de
remettre sa malle avec la clef au porteur.
Celui-ci, d'après les ordres de Mallet, la porta chez le prêtre espagnol
qui était à la Place Royale. Le lendemain 22, Mallet invita à dîner, ainsi
que l'abbé Lafond, les deux jeunes gens dont je viens de parler, et au
moment de se séparer, il leur dit d'aller l'attendre chez le prêtre
espagnol.
À dix heures du soir, lorsque les portes de la maison de santé étaient
fermées, il saute avec l'abbé Lafond par la fenêtre de sa chambre qui
était un rez-de-chaussée sur le jardin, et au bout duquel était un mur de
très peu d'élévation, après quoi l'on était sur la voie publique. Il fit tout
cela sans bruit, et vint à pied à la Place Royale chez le prêtre espagnol.
Il y fit apporter du punch, et lorsqu'il vit les têtes des jeunes gens un
peu échauffées, il leur parla de son projet, comme d'une chose déjà
convenue depuis longtemps entre lui et le sénat; mais il leur dit qu'elle
ne devait être exécutée qu'après la mort de l'empereur, dont il n'avait
été prévenu qu'hier: il abusait ainsi les deux jeunes gens, qui le savaient
bien un homme mécontent du gouvernement impérial, mais qui ne se
vantait pas de ce qu'il se proposait de faire.
Mallet leur montra tous les ordres que venait de lui envoyer la
commission du gouvernement établie au Luxembourg, sa nomination
au gouvernement de Paris, un crédit considérable sur le trésor public, et
enfin l'ordre d'installer de suite les nouvelles autorités à la place des
anciennes. Toutes ces pièces étaient de sa fabrication. Sans donner à
ces jeunes gens le temps de la réflexion, il ouvre sa malle, revêt son
grand uniforme d'officier-général, fait prendre au jeune caporal qui était
avec l'abbé Lafond l'habit d'aide-de-camp qu'il avait aussi fait venir, et
donne au jeune Vendéen l'écharpe aux trois couleurs.

CHAPITRE IV.
Le général Mallet à la caserne de Popincourt.--Il se fait passer pour le
général Lamotte.--La 10e cohorte prend les armes.--Mallet délivre
Lahorie et Guidal.--Le préfet de police me fait prévenir.--Dispositions
que prend le général Mallet.--L'adjudant-général Doucet.--Mallet est
arrêté.--Le général Hullin.
Accompagné comme je viens de le dire, seulement de trois personnes,
le général Mallet sort de chez le prêtre espagnol vers une heure du
matin, et se rend à la caserne de Popincourt où était la 10e cohorte. On
ne laisse pas entrer la nuit dans les casernes de Paris, aussi Mallet
affecta-t-il de dire qu'il n'avait affaire qu'au commandant. On le
conduisit chez le malheureux Soulier, qui demeurait hors du quartier; il
était malade, et ne put se lever pour recevoir Mallet.
C'est ici que fut joué le tour le plus adroit, et sur le succès duquel
reposait tout celui de l'entreprise. Mallet entra chez le colonel Soulier,
sans lui dire son nom; celui-ci, après s'être excusé de ne pouvoir se
lever, demanda au général ce qu'il avait à lui dire.
Mallet lui dit: «Je vois bien que vous n'êtes pas informé; nous avons eu
le malheur de perdre l'empereur.» À ce mot, Soulier fond en larmes;
Mallet a l'air de partager sa douleur, et lui dit: «Le gouvernement vient
d'être changé, et voici l'ordre que le général Mallet m'a remis pour vous,
il y a un instant.»
Soulier lit: c'était un ordre du général Mallet, qui lui ordonnait de faire
prendre les armes à la cohorte, de lui donner connaissance des
événements nouvellement arrivés, et de suivre exactement tout ce que
lui commanderait le général Lamotte, qu'il rendait porteur de sa lettre,
et qui avait reçu les instructions de la commission du sénat investi du
gouvernement.
Voilà donc Mallet qui joue, près du colonel Soulier, le personnage de
Lamotte; Soulier salue le général Lamotte, fait venir l'adjudant de sa

cohorte, lui commande de l'assembler et de venir ensuite prendre le
général Lamotte, auquel il fait des excuses de ne pouvoir
l'accompagner.
Lamotte (Mallet) se rend donc dans la cour de la caserne, où la troupe
était assemblée, et lui fait lire aux flambeaux la nouvelle de la mort de
l'empereur, la proclamation du sénat à l'armée, et lui donne
connaissance des nouvelles formes du gouvernement. Il ne vint dans la
tête de personne de chercher à vérifier si cela était vrai, assurément rien
n'était plus clair que les termes dans lesquels Mallet s'expliquait.
Lamotte (Mallet) emmène la
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 112
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.