le feu était dans la
maison, et que m'étant enfermé, on faisait tout ce vacarme, pour
m'éveiller; je me lève en toute hâte, et dans l'obscurité de ma chambre à
coucher, je cherche la porte qui conduisait où j'entendais le bruit. En
ouvrant la porte qui communiquait à mon cabinet, que les contrevents
fermés tenaient dans l'obscurité, je ne voyais la lumière que par les
fractures faites à la porte principale, à travers desquelles je distinguais
des soldats en armes, qui non seulement remplissaient mes
appartements, mais encore la cour de l'hôtel que j'occupais; ils
poussaient avec force les débris des portes qui tenaient encore,
assemblés par le verrou; j'ouvre moi-même, et entrant en chemise au
milieu d'eux, je leur demande ce qui les a amenés chez moi.
Mes appartements en étaient si remplis, que je ne pouvais pas
distinguer autre chose. Une voix s'écria: Appelez le général. Et je vis
effectivement approcher le général Lahorie, ancien chef d'état-major de
l'armée du Rhin sous le général Moreau. Lahorie avait été mon
camarade pendant les premières campagnes de la révolution; il y avait
entre nous deux une familiarité de tutoiement, et malgré la différence
de nos opinions politiques, je lui avais conservé de l'amitié.
Il me dit en m'abordant: «Tu es arrêté; félicite-toi d'être tombé entre
mes mains, au moins il ne t'arrivera point de mal.» Je ne comprenais
rien à ce que je voyais. Lahorie me dit en quatre mots: «L'empereur a
été tué sous les murs de Moscou le 8 octobre.--«Tu me fais des contes,
lui dis-je; j'ai une lettre de lui de ce jour-là: je puis te la faire voir.»
Lahorie, en me fixant, me répondit: «Cela ne se peut pas, cela serait-il
possible?» Il était dans un état nerveux qui avait excité en lui un
branlement de mâchoire, comme s'il avait été attaqué du tétanos, et il
me répétait: «Cela n'est pas possible.»
Voyant que je ne gagnais rien sur Lahorie, je m'adressai aux troupes,
pendant qu'il était allé appeler un certain sergent auquel il avait parlé le
long du chemin, en venant chez moi; mais ce sergent, qui était un
honnête homme, n'était pas entré avec la troupe qui avait suivi Lahorie.
Il l'avait appelé plusieurs fois à haute voix, mais il était probablement
resté dans la cour ou sur le quai, où la troupe s'était placée. En voyant
Lahorie chercher avec tant de soin le sergent, je soupçonnai que c'était
un assassin aposté, d'autant plus que le général criait: «Faites approcher
le sergent auquel j'ai parlé en chemin.»
Je ne songeai qu'à ma défense. Pendant que Lahorie était dehors de mes
appartements, je demandai au commandant de la troupe qui il était. Il
me répondit: «Je suis capitaine adjudant-major de la 10e cohorte de la
garde nationale.--Fort bien! lui dis-je. Ces soldats sont-ils votre
troupe?--Oui, monsieur, me répondit-il.--Ainsi, ajoutai-je, vous n'êtes
point des soldats révoltés?» Tous les soldats s'écrièrent: «Non, non;
nous sommes avec nos officiers. C'est un général qui nous a
amenés.--Eh bien! repris-je, connaissez-vous ce général?» Ils
répondirent: «Non.»--Alors, dis-je, ce que je vois ne m'étonne pas. Moi,
je le connais, et vais vous faire connaître la position dans laquelle il
vous place.
«C'est un ancien aide-de-camp du général Moreau, qui était en prison à
la Force, d'où il ne devait pas sortir sans mon autorisation. C'est un
conspirateur! Me connaissez-vous?» Ils répondirent:
«Non....»--«Savez-vous chez qui vous êtes?» Ils répondirent: «Non.»
Un seul officier répliqua: «Moi je vous connais, je sais que vous êtes le
ministre de la police.--«En ce cas-là, lui répondis-je, je vous ordonne, et
au besoin vous requiers d'arrêter sur-le-champ le général Lahorie, qui
vous a amenés chez moi.»
Le capitaine adjudant-major, qui me tenait par le bras droit, ainsi qu'un
autre de ses officiers par le bras gauche, me semblaient d'assez braves
gens; toute cette troupe me paraissait d'autant plus égarée, que je
remarquais que les soldats n'avaient pas même de pierres à feu à leurs
fusils. Je dis à cet adjudant-major, qui avait la croix de la
Légion-d'Honneur: «Mon cher monsieur, vous jouez là un jeu auquel il
ne faut pas perdre, et prenez garde d'être fusillé dans un quart d'heure,
si je ne le suis pas moi-même; il ne faut que ce temps-là à la garde
impériale pour être à cheval, et alors, gare à vous [1].»
[1: La caserne de la garde était à trois cents pas de mon hôtel.]
Je dois à sa mémoire de dire qu'il était ébranlé moins par la peur du
danger que par la crainte de faire une mauvaise action, c'est-à-dire une
action déshonorante.
Le voyant chanceler, je saisis ce moment pour lui dire: «Si vous êtes
homme d'honneur, ne vous laissez pas souiller d'un crime, et ne
m'empêchez pas de vous sauver tous. Je ne vous demande que de me
laisser faire.
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