Lucrezia Floriani | Page 4

George Sand
il n'est possible de la juger que quand son r��gne est fini. Elle a le droit divin pour elle; elle est fille du g��nie des temps: mais le monde est si grand qu'il y a place pour tous, et les libert��s dont nous jouissons s'��tendent bien jusqu'�� nous permettre de faire un mauvais roman.

I.
Le jeune prince Karol de Roswald venait de perdre sa m��re lorsqu'il fit connaissance avec la Floriani.
Il ��tait plong�� encore dans une tristesse profonde, et rien ne pouvait le distraire. La princesse de Roswald avait ��t�� pour lui une m��re tendre et parfaite. Elle avait prodigu�� �� son enfance d��bile et souffreteuse les soins les plus assidus et le d��vouement le plus entier. ��lev�� sous les yeux de cette digne et noble femme, le jeune homme n'avait eu qu'une passion r��elle dans toute sa vie: l'amour filial. Cet amour r��ciproque du fils et de la m��re les avait rendus exclusifs, et peut-��tre un peu trop absolus dans leur mani��re de voir et de sentir. La princesse ��tait d'un esprit sup��rieur et d'une grande instruction, il est vrai; son entretien et ses enseignements semblaient pouvoir tenir lieu de tout au jeune Karol. La fr��le sant�� de celui-ci s'��tait oppos��e �� ces ��tudes classiques, p��nibles, s��chement tenaces, qui ne valent pas toujours par elles-m��mes les le?ons d'une m��re ��clair��e, mais qui ont cet avantage indispensable de nous apprendre �� travailler, parce qu'elles sont comme la clef de la science de la vie. La princesse de Roswald ayant ��cart�� les p��dagogues et les livres, par ordonnance des m��decins, s'��tait attach��e �� former l'esprit et le coeur de son fils, par sa conversation, par ses r��cits, par une sorte d'insufflation de son ��tre moral, que le jeune homme avait aspir��e avec d��lices. Il ��tait donc arriv�� �� savoir beaucoup sans avoir rien appris.
Mais rien ne remplace l'exp��rience; et le soufflet que, dans mon enfance, on donnait encore aux marmots pour leur graver dans la m��moire le souvenir d'une grande ��motion, d'un fait historique, d'un crime c��l��bre, ou de tout autre exemple �� suivre ou �� ��viter, n'��tait pas chose si niaise que cela nous parait aujourd'hui. Nous ne donnons plus ce soufflet �� nos enfants; mais ils vont le chercher ailleurs, et la lourde main de l'exp��rience l'applique plus rudement que ne ferait la n?tre.
Le jeune Karol de Roswald connut donc le monde et la vie de bonne heure, de trop bonne heure peut-��tre, mais par la th��orie et non par la pratique. Dans le louable dessein d'��lever son ame, sa m��re ne laissa approcher de lui que des personnes distingu��es, dont les pr��ceptes et l'exemple devaient lui ��tre salutaires. Il sut bien que dehors il y avait des m��chants et des fous, mais il n'apprit qu'�� les ��viter, nullement �� les conna?tre. On lui enseigna bien �� secourir les malheureux; les portes du palais o�� s'��coula son enfance ��taient toujours ouvertes aux n��cessiteux; mais, tout en les assistant, il s'habitua �� m��priser la cause de leur d��tresse et �� regarder cette plaie comme irr��m��diable dans l'humanit��. Le d��sordre, la paresse, l'ignorance ou le manque de jugement, sources fatales d'��garement et de mis��re, lui parurent, avec raison, incurables chez les individus. On ne lui apprit point �� croire que les masses doivent et peuvent insensiblement s'en affranchir, et qu'en prenant l'humanit�� corps �� corps, en discutant avec elle, en la gourmandent, et la caressant tour �� tour, comme un enfant qu'on aime, en lui pardonnant beaucoup de rechutes pour en obtenir quelques progr��s, on fait plus pour elle qu'en jetant �� ses membres perclus ou gangren��s le secours restreint de la compassion.
Il n'en fut pas ainsi. Karol apprit que l'aum?ne ��tait un devoir; et c'en est un �� remplir sans doute, tant que, par l'arrangement social, l'aum?ne sera n��cessaire. Mais ce n'est qu'un des devoirs que l'amour de notre immense famille humaine nous impose. Il y en a bien d'autres, et le principal n'est pas de plaindre, c'est d'aimer. Il embrassa avec ardeur la maxime qu'il fallait ha?r le mal; mais il s'attacha �� la lettre, qu'il faut plaindre ceux qui le font; et, encore une fois, plaindre n'est pas assez. Il faut aimer surtout pour ��tre juste et pour ne pas d��sesp��rer de l'avenir. Il faut n'��tre pas trop d��licat pour soi-m��me, et ne pas s'endormir dans le sybaritisme d'une conscience pure et satisfaite d'elle-m��me. Il ��tait assez g��n��reux, ce bon jeune homme, pour ne pas jouir sans remords de son luxe, en songeant que la plupart des hommes manquent du n��cessaire; mais il n'appliquait pas cette commis��ration �� la mis��re morale de ses semblables. Il n'avait pas assez de lumi��re dans la pens��e pour se dire que la perversit�� humaine rejaillit sur ceux qui en sont exempts, et que faire la guerre au mal g��n��ral est le premier devoir
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