se coaliser au besoin contre un ennemi
commun.
Au milieu d'un fol enthousiasme déchaîné par la déclaration solennelle
de l'immense union accomplie, on résolut de créer, en guise d'emblème
commémoratif apte à immortaliser l'éclatant événement, une statue
faite uniquement de terre prise au sol des diverses tribus conjointes.
Chaque peuplade envoya son lot, en choisissant de la terre végétale,
symbole de l'abondance heureuse qu'annonçait la protection de
Forukko.
Avec tous les humus mélangés et pétris ensemble, un artiste en renom,
ingénieux dans le choix du sujet, érigea un gracieux enfant souriant, qui,
véritable rejeton commun des nombreuses tribus confondues en une
seule famille, semblait consolider encore les liens établis.
L'oeuvre, installée sur la place publique de Tombouctou, reçut, en
raison de son origine, une dénomination qui traduite en langage
moderne donnerait ces mots: le Fédéral. Modelé avec un art charmant,
l'enfant, nu, le dos de ses mains tourné à plat vers le sol, avançait les
bras comme pour faire une offrande invisible, évoquant, au moyen de
son geste emblématique, le don de richesse et de félicite promis par
l'idée qu'il représentait. Bientôt séchée et durcie, la statue acquit une
solidité persistante.
Suivant l'espérance générale, un âge d'or commença pour les peuplades
fusionnées, qui, attribuant leur chance au Fédéral, vouèrent un culte
passionné à ce tout-puissant fétiche, prompt à exaucer d'innombrables
prières.
Sous le règne de Duhl-Séroul l'association des clans subsistait toujours
et le Fédéral inspirait le même fanatisme.
La présente folie de la souveraine empirant sans cesse, on résolut d'aller
en foule demander à la statue de terre l'immédiate conjuration du fléau.
Vue et décrite par Ibn Batouta, une grande procession, prêtres et
dignitaires en tête, se rendit auprès du Fédéral pour lui adresser
longuement, selon certains rites, de ferventes oraisons.
Le soir même, un furieux ouragan passa sur la contrée, sorte de tornade
dévastatrice qui traversa rapidement Tombouctou, sans endommager le
Fédéral, abrité par les constructions environnantes. Les jours suivants,
de fréquentes averses résultèrent de la perturbation des éléments.
Cependant la vésanie aiguë de la reine s'accentuait, occasionnant à
chaque heure de nouvelles calamités.
Déjà on désespérait du Fédéral, lorsqu'un matin le fétiche présenta,
enracinée dans l'intérieur de sa main droite, une petite plante pressée
d'éclore.
Sans hésiter, chacun vit là un remède miraculeusement offert par
l'enfant vénéré pour guérir l'affection de Duhl-Séroul.
Promptement développé par des alternatives de pluie et d'ardent soleil,
le végétal engendra de minuscules fleurs jaune pâle, qui, recueillies
avec soin, furent, sitôt sèches, administrées à la souveraine, alors au
paroxysme de l'égarement.
Le phénomène retardataire se produisit incontinent, et Duhl-Séroul,
enfin soulagée, retrouva sa raison et son équitable bonté.
Ivre de joie, le peuple, par une imposante cérémonie, rendit grâce au
Fédéral et, soucieux d'enrayer les crises prochaines, résolut de cultiver
à l'aide d'un arrosage régulier, en la laissant par superstitieux respect
dans la main de la statue sans oser semer ses germes nulle part, la
plante mystérieuse qui jusqu'alors inconnue dans la contrée n'autorisait
qu'une seule hypothèse: transportée dans les airs par l'ouragan depuis
de lointaines régions, une graine, atteignant en sa chute la dextre de
l'idole, avait mûri dans la terre végétale régénérée par la pluie.
Suivant la croyance unanime l'omnipotent Fédéral avait lui même
déchaîné le cyclone, conduit la semence jusqu'à sa main et provoqué
chaque ondée germinatrice.
Tel était dans l'exposé d'Ibn Batouta le passage favori de l'explorateur
Echenoz, qui, une fois à Tombouctou, s'enquit du Fédéral.
Une scission survenue entre les tribus solidaires l'ayant privé de toute
signification, le fétiche, banni de la place publique et relégué comme
simple curiosité parmi les reliques d'un temple, avait depuis longtemps
sombré dans l'oubli.
Echenoz voulut le voir. Dans la main de l'enfant, intact et souriant, se
dressait encore la fameuse plante, qui, maintenant sèche et rabougrie,
avait jadis--l'explorateur réussit à l'apprendre--conjuré pendant
plusieurs années, jusqu'à produire une complète guérison, chaque
nouvelle crise de Duhl-Séroul. Possédant sur la botanique les notions
qu'exigeait sa profession, Echenoz reconnut en l'antique débris
horticole un pied d'artemisia maritima--et se rappela qu'absorbées en
quantité minime, sous la forme d'un médicament jaunâtre nommé
semen-contra, les fleurs séchées de cette radiée constituent, en effet, un
très actif emménagogue. Pris à une source unique et pauvre, c'est juste
ment à faible dose que le remède avait toujours agi sur Duhl Séroul.
Pensant que le Fédéral, vu son présent délaissement, pouvait être acquis,
Echenoz offrit un large prix aussitôt accepté--puis rapporta en Europe
la singulière statue, dont l'historique éveilla fort l'attention de Canterel.
Or Echenoz était mort depuis peu, léguant le Fédéral à son ami, en
souvenir de l'intérêt porté par celui-ci à l'ancien fétiche africain.
Nos regards, fixant le symbolique enfant, maintenant paré pour nous,
ainsi que la vieille plante, de la plus attrayante gloire, furent bientôt
sollicités par trois hauts reliefs rectangulaires, taillés, à même la pierre,
dans la portion inférieure du
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