conférence prodigieusement courue, telle
communication sensationnelle.
C'est à Locus Solus que Canterel passe presque toute l'année, entouré de
disciples qui, pleins d'une admiration passionnée pour ses continuelles
découvertes, le secondent avec fanatisme dans l'accomplissement de
son oeuvre. La villa contient plusieurs pièces luxueusement aménagées
en laboratoires modèles qu'entretiennent de nombreux aides, et le
maître consacre sa vie entière à la science, aplanissant d'emblée, avec
sa grande fortune de célibataire exempt de charges, toutes difficultés
matérielles suscitées au cours de son labeur acharné par les divers buts
qu'il s'assigne.
Trois heures venaient de sonner. Il faisait bon, et le soleil étincelait
dans un ciel presque uniformément pur. Canterel nous avait reçus non
loin de sa villa, en plein air, sous de vieux arbres dont l'ombrage
enveloppait une confortable installation comprenant différents sièges
d'osier.
Après l'arrivée du dernier convoqué, le maître se mit en marche,
guidant notre groupe, qui l'accompagnait docilement. Grand, brun, la
physionomie ouverte, les traits réguliers, Canterel, avec sa fine
moustache et ses yeux vifs où brillait sa merveilleuse intelligence,
accusait à peine ses quarante-quatre ans. Sa voix chaude et persuasive
donnait beaucoup d'attrait à son élocution prenante, dont la séduction et
la clarté faisaient de lui un des champions de la parole.
Nous cheminions depuis peu dans une allée en pente ascendante fort
raide.
À mi-côte nous vîmes au bord du chemin, debout dans une niche de
pierre assez profonde, une statue étrangement vieille qui, paraissant
formée de terre noirâtre, sèche et solidifiée, représentait, non sans
charme, un souriant enfant nu. Les bras se tendaient en avant dans un
geste d'offrande--les deux mains s'ouvrant vers le plafond de la niche.
Une petite plante morte, d'une extrême vétusté, s'élevait au milieu de la
dextre, où jadis elle avait pris racine.
Canterel, qui poursuivait distraitement son chemin, dut répondre à nos
questions unanimes.
«C'est le Fédéral à semen-contra vu au coeur de Tombouctou par Ibn
Batouta», dit-il en montrant la statue--dont il nous dévoila ensuite
l'origine.
Le maître avait connu intimement le célèbre voyageur Echenoz, qui
lors d'une expédition africaine remontant à sa prime jeunesse était allé
jusqu'à Tombouctou.
S'étant pénétré, avant le départ, de la complète bibliographie des
régions qui l'attiraient, Echenoz avait lu plusieurs fois certaine relation
du théologien arabe Ibn Batouta, considéré comme le plus grand
explorateur du XIVe siècle après Marco Polo.
C'est à la fin de sa vie, féconde en mémorables découvertes
géographiques, alors qu'il eût pu à bon droit goûter dans le repos la
plénitude de sa gloire, qu'Ibn Batouta avait tenté une fois encore une
reconnaissance lointaine et vu l'énigmatique Tombouctou.
Durant sa lecture Echenoz avait remarqué entre tous l'épisode suivant.
Quand Ibn Batouta entra seul à Tombouctou, une silencieuse
consternation pesait sur la ville.
Le trône appartenait alors à une femme, la reine Duhl-Séroul, qui, a
peine âgée de vingt ans, n'avait pas encore choisi d'époux.
Duhl-Séroul souffrait parfois de terribles crises d'aménorrhée, d'où
résultait une congestion qui, atteignant le cerveau, provoquait des accès
de folie furieuse.
Ces troubles causaient de graves préjudices aux naturels, vu le pouvoir
absolu dont disposait la reine, prompte dès lors à distribuer des ordres
insensés, en multipliant sans motif les condamnations capitales.
Une révolution eût pu éclater. Mais hors ces moment d'aberration c'était
avec la plus sage bonté que Duhl-Séroul gouvernait son peuple, qui
rarement avait goûté règne aussi fortuné. Au lieu de se lancer dans
l'inconnu en renversant la souveraine, on supportait patiemment les
maux passagers compensés par de longues périodes florissantes. Parmi
les médecins de la reine aucun jusqu'alors n'avait pu enrayer le mal.
Or à l'arrivée d'Ibn Batouta une crise plus forte que toutes les
précédentes minait Duhl-Séroul. Sans cesse il fallait, sur un mot d'elle,
exécuter de nombreux innocents et brûler des récoltes entières. Sous le
coup de la terreur et de la famine les habitants attendaient de jour en
jour la fin de l'accès, qui, se prolongeant contre toute raison, rendait la
situation intenable.
Sur la place publique de Tombouctou se dressait une sorte de fétiche
auquel la croyance populaire prêtait une grande puissance.
C'était une statue d'enfant entièrement composée de terre sombre--et
jadis fondée en de curieuses circonstances sous le roi Forukko, ancêtre
de Duhl-Séroul.
Possédant les qualités de sens et de douceur retrouvées en temps
normal chez la reine actuelle, Forukko, édictant des lois et payant de sa
personne, avait porté haut la prospérité de son pays. Agronome éclairé,
il surveillait lui-même les cultures, afin d'introduire maints fructueux
perfectionnements dans les méthodes caduques touchant les semailles
et la moisson.
Émerveillées de cet état de choses, les tribus limitrophes s'allièrent à
Forukko pour profiter de ses décrets et avis, non sans garder chacune
son autonomie avec le droit de reprendre à son gré une indépendance
complète. Il s'agissait là d'un pacte d'amitié et non de soumission, par
lequel on s'engagea en outre à
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