Locus Solus | Page 2

Raymond Roussel
ses papiers coloriés, la scène ronde, dérisoire et immobile d'une lentille-souvenir.?[2]
[2] Michel Foucault, Raymond Roussel, Le Chemin, Gallimard, 1963, p. 134.
L'écriture roussélienne écarte soigneusement la répétition, construit la phrase avec une grande rigueur et utilise à bon escient les temps des verbes, comme si le langage, après avoir ouvert des perspectives inou?es devait revenir à une sage réserve, à une soumission absolue aux règles qu'il avait dépassées en son élan créateur. Ce n'est sans doute pas là le moindre des paradoxes d'un homme sans doute tenu par une éducation très stricte, en rapport avec son milieu social, qui nous décrit dans une belle langue classique, académique, presque lisse, ses ?inventions prodigieuses et baroques?, ses machines démentielles et ses personnages hors du commun. Mais c'est que, pour Roussel, l'écriture est vraiment un art qui consiste dans des inventions pures, l'écrivain étant une sorte de démiurge.
Dans la Doublure, premier roman en vers de Roussel, à l'origine de la ?sensation de gloire universelle d'une intensité extraordinaire?, il décrit presque essentiellement les têtes de carton du carnaval de Nice dans ce qu'elles offrent d'immédiat au regard: papier peint, couleurs, reliefs.
De même dans la Vue, composé de trois poèmes (la vue, le concert, la source), l'auteur nous livre, à travers une description minutieuse, une photographie enchassée à l'intérieur d'un porte-plume, une étiquette de bouteille d'eau minérale et une vignette de papier à lettre à en-tête.
Enfin, dans la dernière oeuvre en vers de Roussel, Nouvelles Impressions d'Afrique, quatre attractions touristiques de l'égypte moderne, sont prétexte à une dislocation de la phrase par un procédé de parenthèses, presque indéfiniment ouvertes dans d'autres parenthèses, comme autant d'écrans entre l'écriture et la réalité.
Une écriture à procédés
Les oeuvres en prose, ainsi que le théatre, sont écrits selon un procédé que l'auteur révèle lui-même, dans le préambule de Comment j'ai écrit certains de mes livres:
1° Au départ, deux phrases identiques à un mot près, avec jeu de double sens sur les autres mots constituant les phrases. Il s'agissait ensuite pour Roussel d'écrire un texte commen?ant par la première et finissant par la seconde.
Exemple:
A. Les lettres (signes typographiques) du blanc (cube de craie) sur les bandes (bordures) du vieux billard.
B. Les lettres (missives) du blanc (homme blanc) sur les bandes (hordes guerrières) du vieux pillard.
Ces deux phrases sont à la base du conte intitulé Parmi les Noirs, lui même embryon d'Impressions d'Afrique, premier roman à procédé de Raymond Roussel.
2° Deux mots hétérogènes à double sens accouplés par la préposition à.
Exemple:
Palmier (gateau, arbre) à restauration (restaurant où l'on sert des gateaux, rétablissement d'une dynastie sur un tr?ne). Couple de mots qui, dans Impressions d'Afrique a donné le palmier de la place des trophées consacré à la restauration de la dynastie des Talou.
3° Procédé évolué: ?... phrase quelconque, dont je tirais des images en la disloquant, un peu comme s'il se fut agit d'en extraire des dessins de rébus.?
Exemple:
?Napoléon premier empereur? donne ?Nappe ollé ombres miettes hampe air heure? d'où le tableau liquide du sculpteur Fuxier dans Impressions d'Afrique qui représente des danseuses espagnoles montées sur une table et l'ombre des miettes visibles sur la nappe.
Puis l'horloge à vent du pays de Cocagne: hampe (du drapeau), air (vent), d'un autre conte. On le voit, le langage, chez Roussel, passe du statut d'outil à celui d'agent créateur.
Il est d'autre part remarquable de constater que si le point de départ d'un texte est toujours du à des combinaisons qui ne relèvent que du hasard, la jonction des mots hétérogènes que le langage a suscité se fait constamment dans l'esprit d'une logique implacable, d'une écriture positive, qui prend en charge et distribue tous les éléments du discours.
L'espace de la métamorphose
Les récits de Roussel, se déploient dans un univers transparent, recroquevillé sur lui-même où chaque chose reste à la même place indéfiniment, ou revient toujours au point de départ, à l'instar des cadavres de Locus Solus qui, derrière une vitrine, répètent inlassablement la scène cruciale de leur existence abolie.
L'aspect fantastique et magique du conte traditionnel duquel il s'est incontestablement inspiré, est remplacé par l'opiniatreté des faiseurs de contre-nature qui produisent du merveilleux à force de travail et de patience. La fée de notre enfance, devient un homme de science génial (Canterel dans Locus Solus) qui a troqué la baguette magique contre un laboratoire perfectionné. Les merveilles se bousculent dans un espace qui semble ne pas rencontrer de limites. C'est l'espace de la métamorphose. Ainsi on joint des ordres de grandeur sans rapport (sculpture de tableaux à l'intérieur de grains de raisin embryonnaires), des perspectives contradictoires, comme par exemple infirmité et virtuosité avec le Breton Lelgouach, dans Impressions d'Afrique qui s'est confectionné un instrument de musique avec son tibia amputé et avec lequel il joue des mélodies d'une pureté extrême, ou encore les cadavres de Canterel dans Locus Solus qui joignent la vie et la mort en retrouvant l'exact
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