des plus extraordinaires qu'il y ait; mais il n'est pas facile à
comprendre et ne pratique pas assez le respect des convenances.
Ce livre est le ROMAN DE GARGANTUA ET DE PANTAGRUEL.
C'est une oeuvre philosophique-satirique, dont le but est d'amuser et
d'instruire par la peinture de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans
toutes les classes de la société et dans toutes les conditions. Ce qui y
frappe le plus c'est l'imagination, l'érudition et l'obscénité. Les idées les
plus belles abondent au milieu des détails les plus indécents.
En matière d'éducation Rabelais a des vues admirables. Les plus grands
humoristes procèdent de lui: Swift et Sterne, La Fontaine, Molière, Le
Sage et Paul Louis Courier.
Sa langue est d'une richesse incomparable, un peu trop grecque, et
émaillée d'expressions idiomatiques et proverbiales. Il y en a quelques
unes qui datent de lui. Ainsi l'on dit "le quart d'heure de Rabelais," pour
le moment où il s'agit de payer, et "c'est un mouton de Panurge" d'un
homme qui ne fait qu'imiter les autres.
Rabelais est incompréhensible; son livre est une énigme, quoi qu'on
veuille dire, inexplicable; c'est une chimère, c'est le visage d'une belle
femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête
plus difforme; c'est un monstrueux assemblage d'une morale fine et
ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est mauvais, il passe bien
au-delà du pire, c'est le charme de la canaille; où il est bon il va jusques
à l'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plus délicats.
La Bruyère.
L'histoire de Gargantua et de Pantagruel a occupé trente ans de la vie
de l'auteur.
Rabelais l'a pris, laissé, repris. Il l'a commencé pour amuser ses
malades et pour s'égayer, et il l'a continué au hasard. Il ne s'est prescrit
aucun plan. Il n'y a pas mis d'unité, ni même de suite. La première
partie est complète en elle-même, la seconde ouvre un nouveau sujet, la
cinquième ne termine rien. L'ouvrage n'a jamais été destiné à finir. Ce
n'est pas un livre, mais une galerie de tableaux, un chapelet d'aventures
auxquelles on ne songe pas à donner plus de liaison, précisément parce
que l'intérêt est moins dans le fond du récit que dans la manière dont il
est raconté, et dans les plaisanteries dont il est semé....
Rabelais n'a point voulu enseigner. Il n'a apporté à son ouvrage aucun
dessein profond. Il a pris la plume pour s'égayer et égayer les autres.
Seulement, ainsi qu'il arrive d'ordinaire aux rieurs, il a ri aux dépens
d'autrui; à l'exemple de tous les comiques, il a fait de la satire....
Il n'a cherché qu'une chose, s'ébaudir. Peut-être était-ce pour ne pas
pleurer.
Car selon l'humeur de cet âge Chacun, pour cacher son malheur,
S'attachait le ris au visage, Et les larmes dedans son coeur.
Mais non, Rabelais a ri parce qu'il ne pouvait faire autrement. Rabelais
est le rieur par excellence....
Il rit sans raison, par un simple besoin de joie, par un mouvement de
gaieté animale.... Il met les convenances sous les pieds;... le sentiment
de la décence lui est étranger....
Il est obscène plutôt qu'immoral. Il se complaît dans l'ordure, mais il
n'est pas corrompu. Son livre comme il le proclame lui-même "ne
contient mal ni infection."
Rabelais est un bouffon, un fou de cour auquel on finit par passer des
libertés excessives en faveur de ses traits de sagesse.
On dirait à le voir quelque Pantagruel en personne, un être énorme,
malpropre, joyeux et bon....
Rabelais va parcourant toute la gamme des sentiments humains, aussi à
l'aise dans le sublime que dans le trivial, assez vaste ou assez souple
pour réunir en lui tous les contrastes. De là cette variété qui prépare
chez lui tant de surprises au lecteur. Mais ce n'est qu'un de ses attraits.
Il en a de toutes sortes et des plus vifs: le libre regard sur toutes choses,
l'ingénieuse satire, je ne sais quelle grâce et quelle charmante naïveté,
l'invention inépuisable, la verve indomptable, le flot intarissable, les
ressources du vocabulaire.
Il a été moins un artiste qu'un génie, et cependant il a eu, lui le premier,
ce qui avait manqué au moyen-âge, la façon de dire, comme aussi il a
eu, ce qui allait se perdre après lui, la faculté de se créer une langue.
E. Scherer.
II.
MONTAIGNE. Né au château de Montaigne, près de Bordeaux, en
1533; mort en 1592.
Michel Montaigne a été le plus grand écrivain du XVIe siècle. De tous
les livres de l'époque de la Renaissance celui qui a conservé le plus de
lecteurs, c'est le sien, LES ESSAIS. Il le mérite tant par le sujet que par
la manière dont il est traité. Ce sujet c'est l'homme étudié par l'auteur
sur lui-même.
L'auteur est un esprit fin, délicat,
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