Linfluence dun livre | Page 3

Philipe Aubert de Gaspé

Et rien ne troublait le silence de cette nuit si ce n'es un bruit étrange,
comme d'un léger battement d'ailes, que de fois à autre on entendait
au-dessus des campagnes et des cités.
LAMENNAIS.
When shall we three meet again? In thunder, lightning, or in rain?
MACBETH.
Dupont, en se jetant sur sa couche, n'avait pas trouvé des rêves aussi
agréables; l'idée de l'action qu'il allait commettre le lendemain ne
l'abandonnait pas, et le sommeil fuyait sa paupière. Lorsque le jour

parut, il se leva fiévreux et fatigué et, s'étant assis près du foyer, il
alluma sa pipe. Livré à ses réflexions, il songeait s'il ferait bien de
suivre, à la lettre, les injonctions d'Amand. Il était honnête; et ce crime
lui répugnait. Après avoir délibéré près d'une heure, il prit son chapeau,
sortit et traversa le champ qui le séparait de la ferme voisine en se
disant à lui-même:--Bah, je vais l'acheter et je lui ferai accroire que je
l'ai volée. Étant arrivé chez son ami Dubé il frappe à sa porte, une voix
au-dedans lui répondit ouvrez et il entra; il manifesta le désir d'acheter
une poule noire. Le marché fut bientôt conclu et, moyennant la somme
d'un franc, Dupont retourna chez lui muni de cet être magique qui
devrait lui ouvrir les mines du Pérou. Il la cacha dans sa grange et,
délivré de toute inquiétude de ce côté, il put vaquer tranquillement, le
reste du jour, à ses travaux habituels en attendant la nuit avec
impatience.
Amand n'était pas resté oisif pendant cette longue matinée; dès l'aurore
il s'était rendu à la montagne voisine pour se procurer de la verveine,
chose indispensablement nécessaire à la réussite de la conjuration qu'il
devait exécuter pendant la nuit; et muni de ce précieux talisman il était
revenu exténué de fatigue, pour prendre le seul repas; et quel repas! du
pain... qui devrait le soutenir pendant le cours de cette journée où il
devait éprouver tant d'émotions diverses.
Si mon lecteur a été au Port-Joli, il a dû visiter le lac de ce nom. Qui
pourrait donner une idée de sa splendeur à ceux qui ne l'ont jamais
vu?--Quel coup d'oeil que l'aspect de ses eaux argentées, à travers les
érables, à une distance d'un mille, pour le voyageur fatigué qui est
parvenu au haut de la montagne qui le limite au côté nord! Qu'il paraît
riche avec ses nombreux îlets, en forme de couronne, chargés de pins
verts qui semblent autant d'émeraudes parsemées dans une toile
d'argent! Qu'il est pensif et mélancolique lorsque aucune voix
importune ne réveille les nombreux échos de ses rivages! Qui aurait pu
croire, en le voyant, le 16 août, balancer au souffle léger d'un vent d'est
ses eaux azurées, que, dans la nuit qui devait suivre cette belle journée,
il vomirait de son sein des esprits infernaux qui troubleraient sa
tranquillité céleste pour enrichir un chétif mortel! Qui pourrait croire en
effet que cette oasis était le lieu choisi par Amand pour tracer ses

cercles nécromantiques.
Neuf heures sonnaient lorsque deux hommes partirent de leurs
demeures respectives pour se rendre sur ses rives, lieu marqué du
rendez-vous. Mais qu'elles étaient différentes les sensations qui les
animaient! Amand certain de son élévation future se rendait, joyeux,
sans aucune crainte, vers le lieu où il croyait devoir échanger le salut
éternel de son âme pour une poignée d'or. Il calculait même déjà les
jouissances qu'il allait acheter, une pensée surtout lui souriait: il
pourrait donc enfin se livrer, sans interruption, à ses études chéries.--Et
puis... s'il pouvait donc trouver la pierre philosophale... La postérité!
Cette idée le faisait avancer rapidement. Dupont, au contraire, marchait
lentement et pensait que, quoique Amand lui eût promis de prendre
toute la responsabilité du crime, il se pourrait bien qu'en y participant, il
aurait aussi part au châtiment qui devait en être la conséquence.
Plusieurs fois il fut près de rebrousser chemin; mais l'idée de manquer à
sa parole, et une fausse honte, le firent continuer. Comme il entrait dans
le bois situé au pied de la montagne, son âme se resserra en lui-même et
son coeur se prit à battre avec violence; il lui sembla que l'atmosphère
était plus étroite, une sueur froide coulait sur son front, et il se sentait
exténué, ses jambes pouvaient à peine le supporter.--Il avait peur!...
Chaque arbre lui semblait un fantôme et le vent qui bruissait dans le
feuillage lui semblait un gémissement qui tombait sur son esprit comme
le râle de la dernière agonie d'un mourant. Il s'arrêta, ôta son chapeau et,
s'étant essuyé le front, il respira plus à l'aise. Il se mit à chanter la
chanson suivante pour se distraire des idées sinistres qui l'accablaient?
Quand vous passerez par chez nous, Oua, oua, N'oubliez pas Madelaine,
Falurondondaine, N'oubliez pas Madelaine, Falurondondé.
Elle avait
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