Linfluence dun livre | Page 4

Philipe Aubert de Gaspé
l'ai mené à la fontaine, Falurondondé.
Il en but cinq ou six seaux Oua, oua, Il a vidé la fontaine, Falurondondaine, Il a vidé la fontaine, Falurondondé.
Il fut, ici, interrompu par une voix qui l'appelait par son nom, ce qui lui fit faire trois pas en arrière. Il était arrivé, sans s'en être aper?u, jusqu'à la fourche de chemin où Amand devait l'attendre pour procéder avec lui jusqu'au lieu désigné; il se remit aussit?t qu'il l'eut reconnu, et l'ayant salué, d'un ton bref, en lui disant--Bonsoir Amand; ils poursuivirent leur route, en silence, sous les immenses érables qui bordent le sentier.
--Beaucoup de personnes marchent plus gaiement à la fortune que toi, Dupont, observa enfin Amand.
--C'est qu'ils y vont par d'autres voies, répondit brusquement celui-ci. Je suis à toi; qu'as-tu à désirer de plus?
--Je désirerais te voir plus gai.
--Il faut avouer que tout doit nous porter à la gaieté; puisque dans une heure, tout au plus, nous serons dans la société du diable.
--Ce n'est que pour un moment; après tout, une nuit est bient?t passée.
Dupont demeura silencieux. Ils étaient arrivés au sommet de la montagne et ils commen?aient à distinguer le lac qui, par cette nuit sombre, ressemblait à un immense voile noir. Ils descendirent rapidement le peu de chemin qui leur restait à faire et se trouvèrent enfin sur sa rive.
Amand tira aussit?t de sa poche une lame d'acier vierge qu'il avait préparée à cet effet et s'en servit pour couper une branche de coudre vert en forme de fourche qu'il trempa trois fois dans les eaux du lac en pronon?ant une formule cabalistique à voix basse. Puis il la planta en terre, et, à l'aide d'un briquet et de tondre, il alluma un petit feu et, s'étant emparé de la poule que Dupont lui présentait, il lui coupa le col avec le même instrument dont il s'était servi pour couper la branche; il fit dégoutter le sang sur le brasier qu'il recouvrit de verveine et y répandit une poudre sulfureuse qu'il avait dans sa poche. Le soufre s'étant enflammé, une épaisse fumée s'éleva entre Dupont et lui. à peine son malheureux compagnon l'eut-il vue et sentie qu'il porta la main à son front en pronon?ant les mots: ?Au nom du père etc.? Amand lui saisit le bras, en le toisant d'un air mena?ant, et recula lui-même de quelques pas pour voir l'effet que produirait sa nécromancie. Quelle fut sa consternation, lorsqu'il vit le dernier tourbillon de fumée se perdre dans les nuages et la nature qui l'environnait plongée dans la même apathie! Sa tête tomba su sa poitrine et il demeura quelques instants pensif, puis s'adressant avec amertume à Dupont:--Il y a ici quelque tour de votre fa?on, monsieur. Dupont garda le silence.--Voyons, avouez-le donc: vous vous êtes muni de quelques saintes reliques pour faire avorter mes projets. Vous auriez aussi bien fait de rester chez vous, homme faible et pusillanime. Pourquoi faut-il que ma malheureuse destinée m'ait fait jeter les yeux sur vous, au préjudice d'une centaine d'hommes (et il appuya sur ce mot) qui auraient pris votre place avec tant de joie!
--Je n'ai point de reliques, mais j'ai une conscience pure et je remercie Dieu qu'il m'ait donné assez de force pour ne pas suivre tes conseils pernicieux. Je ne suis pas un voleur!--J'ai acheté la poule noire! Et sans attendre aucune réponse il se mit à remonter le flanc de la montagne.
--Que le diable puisse te rendre tout le mal que tu me fais! lui cria notre héros, sans bouger de sa place.
Dès qu'il fut seul il s'assit et demeura plongé dans un profond abattement qui dura près d'une heure, puis s'était levé tout à coup:--Plus de confiance dans les hommes désormais, s'écria-t-il. Je ne me fierai plus qu'à moi-même. Je vais me procurer une main-de-gloire et la véritable chandelle magique aussit?t que possible, et alors, qui pourra me tromper? Cette pensée parut le fortifier, il regarda tristement le lac et reprit lentement le chemin de sa chaumière, non sans laisser échapper quelques soupirs en songeant à la mauvaise fortune qui le poursuivait.

CHAPITRE TROISIèME
Le meurtre
Et c'est le meurtre qui vient, froidement médité, Flairer ta gorge nue et t'ouvrir le c?té.
BERTAUD.
Murder, most foul.
SHAKESPEARE.
Je con?ois bien que l'Espagnol vindicatif attende son ennemi au détour sombre d'une forêt et lui plonge son poignard dans le coeur; que le Corse sauvage attende sur le haut d'un ravin l'objet de sa vendetta, et, d'un coup de sa carabine, l'étende à ses pieds; que l'impétueuse Italienne porte un stylet à sa jarretière et perce le sein d'un amant infidèle; il y a quelque chose de grandiose dans leur action; le premier appelle sa vengeance ?le plaisir des Dieux? et dit avec le poète anglais que ?c'est une vertu?. Le second a une dette sacrée à payer: son père peut-être la lui a laissée!
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