Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 7

Nicolas-Marc Desfontaines
soit vaine, Jusqu'à vous croire atteinte, & sensible à ma peine, Et me persuader qu'un feu si bien espris, Au delà de vos jours touchera vos esprits; Mais encor qu'à ce point vous soyez genereuse, Pouray-je consentir à vous voir malheureuse, Et que tacitement il vous soit imputé: Que sans moy vous seriez dans la prosperité? Ha! Madame? souffrez qu'en ce desordre extréme, Ma raison une fois parle contre moy-mesme, Et qu'agissant pour vous, elle monstre en ce jour, Par un estrange effect un veritable amour.
ARISTIDE.
Ta flame, cher Amy, nous est assez connue: Je voids en tes discours ton ame toute nue, Et parmy l'embaras de tant de passions Je descouvre aisément tes inclinations. Je s?ay bien que ton coeur & constant & fidele, Pour l'objet qu'il adore a tousjours mesme zele, Et que tu trouverois un Empire importun, Si ce rare bonheur ne nous estoit commun, Mais je s?ay bien aussi que ton noble courage, A peine à consentir qu'il ayt quelque advantage, Et ces deux mouvemens succedans tour à tour, Font combattre ta gloire avecque ton amour. Mais veux tu t'affranchir de cette incertitude, Qui nourit tes transports, & ton inquietude: Escoute les conseils que je te veux donner: Tu nous dis qu'Anthenor te veut abandonner, Et te priver à tort des droits de ton partage, Si tu ne suis l'erreur où son ame s'engage, Dy luy pour parvenir au but où tu pretens: Que tu rendras ses voeux, & ses desirs contens; Et feints pour cét effect par un beau stratagéme, Que tu veux comme luy recevoir le baptéme. Suivant l'opinion de leur bizare loy, Leurs mysteres sont vains quand on manque de foy; De sorte qu'en ton coeur mesprisant leurs manies, Tu n'auras observé que des ceremonies, Qui n'ayans pas rendu le baptéme parfait: N'auront produit en toy qu'un ridicule effect. Acquiers toy de vrays biens avec de faux hommages: Un peu d'eau, Cher Amy, calme de grands orages; Fay que celle qui nuit à tous ses partizans, Pour toy seule aujourd'hui produise des presens, Et se rende pareille apres ton entreprise, A la pluye envoyée à la fille d'Acrise.
GENEST.
L'effect de ce conseil offenceroit les Dieux.
ARISTIDE.
L'effect de ce conseil leur sera glorieux, Puis qu'à l'aversion de cette loy nouvelle, Tu joindras les mespris que ton coeur a pour elle, Reservant à l'honneur de nos sacrez autels: Une ame toute pure, & des voeux immortels.
GENEST.
à quoy me resoudray-je, aymable Pamphilie?
PAMPHILIE.
Je crains.
ARISTIDE.
Que craignez vous?
PAMPHILIE.
Tout.
ARISTIDE.
Dieux! quelle folie? Vous craignez, dites vous, Quoy? que deux gouttes d'eau De son ardente amour esteignent le flambeau?
PAMPHILIE.
Non, mais que cette erreur à la fin ne luy plaise, Et qu'elle n'ayt pour nous une suitte mauvaise.
GENEST.
Ha! ne me croyez pas d'un esprit si peu sain.
PAMPHILIE.
Vous pouvez donc agir, & suivre ce dessein.
GENEST.
Il faut adroitement conduire ceste affaire.
ARISTIDE.
Laissez m'en le soucy, je verray vostre Pere, Et je s?auray si bien mesnager ses esprits, Qu'aveuglé de l'appas du dessein entrepris, Il ne pourra jamais à travers mon adresse, Se douter seulement du piege qu'on luy dresse; Cependant finissant de si longs entretiens Allez tous deux m'attendre au Temple des Chrestiens.
Fin du second Acte.

ACTE TROISIEME.
SCENE PREMIERE.
Diocletian. Aquillin. Rutile.
DIOCLETIAN.
Rutile, je l'advoue, ils sont incomparables, Et tous en leurs projets me semblent admirables; Que l'accord de leurs voix, & de leurs actions, Exprime adroittement toutes leurs passions! Qu'ils se s?avent bien plaindre, ou feindre une colere! Que l'amour en leur bouche est capable de plaire! Et que leur industrie a de grace & d'appas à dépeindre un tourment qu'ils ne ressentent pas! N'as tu point remarqué ce qu'a dit Luciane En faveur des Chrestiens & de leur loy prophane? Elle en a soustenu l'erreur avec tant d'art, Que j'ay cre? quelque temps qu'elle parloit sans fard, Et que le trait dont lors elle sembloit atteinte, Estoit un pur effect, & non pas une feinte.
RUTILE.
Il est vrai, mais, Seigneur, n'as-tu pas entendu, Ce que Genest a dit quand il s'est deffendu? Avec combien d'esprit, d'adresse, & de courage, Il a de nos autels conservé l'advantage? Et par quel art enfin, & quelle invention, Il se porte au mespris de leur religion?
DIOCLETIAN.
Ouy, sa subtilité n'e?t jamais de pareilles.
AQUILLIN.
Attends un peu, Seigneur, tu verras des merveilles Qui raviront tes sens avecque tant d'appas, Que mesme en les voyant tu ne le croiras pas.

SCENE II.
Diocletian. Aquillin. Rutile, & suitte. Genest. Pamphilie. Aristide. Luciane. Anthenor.
GENEST.
Où suis-je? Qu'ay-je veu? Quelle divine flame, Vient d'esblou?r mes yeux, & d'esclairer mon ame? Quel rayon de lumiere espurant mes esprits, A dissippé l'erreur qui les avoit surpris? Je croy, je suis Chrestien; & cette grace extréme, Dont je sens les effects est celle du Baptéme.
PAMPHILIE.
Chrestien? Qui vous l'a faict?
GENEST.
Je le suis.
ARISTIDE.
Resvez vous?
GENEST.
Un Ange m'a faict tel.
ANTHENOR.
Devant qui?
GENEST.
Devant tous.
LUCIANE.
Personne toutesfois n'a veu cette adventure.
RUTILE, à l'Empereur.
Il leur va debiter quelque estrange imposture.
AQUILLIN.
Qu'il feint bien!
DIOCLETIAN.
Il est vray qu'on ne peut
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