et j'ai même un faible pour les escargots. L'hébreu? c'est à
peine si la plupart d'entre nous le savent lire au moment d'être
Barmitzva. Nos savants hébraïsants font sourire les rabbins étrangers; et
la traduction française qui existe du Talmud est, au dire des juifs
allemands ou polonais, un monument de l'ignorance des rabbins de
France. Donc, j'ignore la religion juive, elle est abolie comme le
paganisme, ou plutôt, non, de même que le paganisme, elle survit dans
le catholicisme qui m'attire par ses théophanies surtout. Le judaïsme
alexandrin ne fit plus cas des théophanies mosaïques. Elles parurent à
cette époque fabuleuses et grossières. Le catholicisme a fait de la
théophanie des dogmes divers. Ce miracle se renouvelle chaque jour à
la messe. L'histoire du Sacré-Coeur fait délirer mon âme ancienne de
juif latin, épris des théophanies et des anthropomorphismes. Je suis
catholique, sauf le baptême.
--C'est fort simple, dis-je, faites-vous baptiser. Le baptême est un
sacrement que n'importe qui peut vous administrer: homme, femme,
juif, protestant, bouddhiste, mahométan.
--Je le sais, dit Fernisoun, mais je ne veux m'en servir que plus tard. En
attendant, je m'amuse.
--Ah! Ah! les effets du baptême sont d'effacer tous les péchés. Comme
on ne peut en user qu'une seule fois, vous voulez retarder le plus
possible cet instant.
--Vous y êtes. Je n'espère plus le Messie, mais j'espère le Baptême. Cet
espoir me donne toutes les joies possibles. Je vis pleinement. Je
m'amuse superbement. Je vole, je tue, j'éventre des femmes, je viole
des sépultures, mais j'irai en paradis, car j'espère le Baptême et l'on ne
dira pas le Kadosch pour ma mort.
J'insinuai:
--Vous exagérez peut-être. Je vous crois trop imbu de certaine
littérature. Mais, prenez garde, la mort vient comme un voleur, à pas de
loup, à l'improviste, et si j'avais ce bonheur que vous avez d'être
croyant, j'ajouterais que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Au fait,
quels livres lisez-vous?
--Cela vous intéresse-t-il? Voici ma bibliothèque; elle est édifiante.
Il sortit de sa poche deux livres fatigués, que je pris. Le titre du premier
bouquin était: Catéchisme du diocèse d'Avignon; celui du second: Les
Vampires de la Hongrie, par Dom Calmet. Ce dernier titre m'effraya
plus que n'avait pu le faire la déclaration criminelle du juif latin. Je
compris qu'il ne se vantait point, et qu'érudit et sanguinaire, l'homme à
qui j'avais affaire était un maniaque du meurtre. Je regardai rapidement
autour de moi, en l'espoir de découvrir une arme pour me défendre au
cas où Fernisoun ferait le forcené. Je vis sur une étagère, à portée de ma
main, un petit revolver à parfumerie qui, détérioré et sans valeur, aurait
dû être jeté depuis longtemps. Cet objet me sauva la vie en l'occurrence,
car Fernisoun, profitant de ce que je détournais les yeux, avait tiré un
couteau passé à sa ceinture, sous ses vêtements. Je laissai tomber les
livres et saisis précipitamment la minuscule et illusoire arme à feu que
je braquai sur le juif latin. Il pâlit et trembla de tous ses membres,
implorant:
--Grâce, vous vous méprenez!
Je criai:
--Assassin! va perpétrer ailleurs des crimes que tu crois pardonnables!
Mes principes ne me permettent point de te dénoncer, mais je souhaite
que, dès ce soir, tes sauvageries trouvent un châtiment. Ta lâcheté,
j'espère, limite le nombre de tes victimes, et ta loquacité te signalera à
la police. Il y a des juges à Paris et, si tu reçois le Baptême, que ce soit
avant de monter à l'échafaud!
Durant que je parlais, Fernisoun ramassa ses livres et, se relevant, me
demanda fort civilement pardon pour m'avoir effrayé. Je lui ordonnai
de m'abandonner son couteau qui était une lame catalane très
dangereuse. Il obéit, puis sortit toujours menacé par le ridicule petit
revolver à parfumerie que je n'avais pas lâché.
* * * * *
Le soir, par économie, je soupai chez moi, de charcuterie et du restant
de pâté sur lequel Fernisoun s'était penché. Je n'avais aucune idée du
danger que je courais. Mais je connus bientôt la noirceur d'âme du juif
latin. Je fus pris de douleurs d'entrailles intolérables. Le pâté était
empoisonné. Fernisoun l'avait arrosé ou saupoudré avec quelque
drogue infecte qui m'aurait tué en peu d'heures, si je n'avais bu une
burette d'huile, puis une fiole de glycérine. Je provoquai des
vomissements salutaires. Je courus acheter du lait et, par bonheur, je
m'en tirai sans médecin.
Les jours suivants, les journaux se trouvèrent remplis par les récits de
crimes sensationnels commis sur des femmes dans tous les coins de
Paris. L'une d'elles fut trouvée nue, tendue comme un drapeau flottant,
et fichée sur un pieu planté au milieu du boulevard de Belleville. Des
enfants, des vieillards furent égorgés. On remarquera qu'il ne s'agissait
que d'êtres faibles. Des passants, hommes ou femmes, dans la foule qui
se presse
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