Lettres de Marie Bashkirtseff | Page 9

Marie Bashkirtseff
couleurs sont mises est incompréhensible. Je ne te raconte que ce que j'ai particulièrement remarqué, d'ailleurs j'ai consacré le plus de temps aux bustes des Empereurs romains et des femmes romaines, Agrippine, Poppée et... j'oublie son nom.... Néron est beau comme personne.
Marc-Aurèle est une bonne grosse tête.
Titus ressemble à quelqu'un, je ne puis savoir à qui.
On vient nous apporter le billet de la loge pour ce soir au théatre Palliano. On ne donne pas un billet, mais une clef de la loge et deux cartes d'entrée, je ne vois cela qu'en Italie.
Demain il faut partir. Plus je vois, plus je veux regarder, je m'arrache avec peine à toutes ces beautés. La Vénus de Médicis m'a rendu joliment fière. Ensuite nous visitons les musées égyptiens et étrusques.
L'enfance de l'art a son charme, mais je ne crois pas, comme on le dit, que la sculpture grecque ait été importée d'égypte.
C'est tout un autre caractère, et puis, n'est-ce pas? en Grèce, dans les temps les plus reculés, on n'a rien fait de semblable aux choses égyptiennes. De même qu'en égypte il n'y eut et il n'y a rien d'approchant des magnificences grecques.
En égypte, l'art est toujours dans le même état, imposant et absurde. Je regrette de ne pouvoir mieux expliquer ce que je comprends si bien. Ah, cher grand-papa, si tu étais avec nous! Allons, quittons la superbe Florence. Cette Lanza _leggiéra piota molt che dipel maculato cra caperta_, comme dit le Dante au long nez pendant. Voilà encore un nez!
Rentrons, rentrons dans notre ville à nous, dans l'altière cité de Seguranne. De nouveau en wagon. Quel dommage qu'il n'existat pas de chemin de fer du temps de Dante. Il en e?t certainement fait un des tourments de son enfer. Cette fumée empestée, ce bruit, ce tremblement continuel!
à bient?t, je t'embrasse.

à son frère. Nice, 1875.
Cher Paul,
Je reviens de Florence, où je suis allée avec ma tante. à Monte Carlo déjà, je devins rose et me mis à rire de joie jusqu'à Nice. Nous avions télégraphié et la voiture est là. Au lieu de me déshabiller, je cours voir les ma?ons qui arrangent les chambres, puis je cours au second, où nous logerons en attendant. Je vais te raconter tout. Chez moi je me déshabille et, en chemise, me précipite sur mes classiques, les range, leur assigne des armoires particulières et ayant terminé ce travail me jette sur le tapis et passe une heure entre les caresses de mes deux chiens, les seuls vrais amis de l'homme, cet homme f?t-il Socrate. _Poi, poi, riposato un poco il corpo lasso, ripressivia per la praggoginivesta_.... Mais cela pas avant de m'être parfaitement lavée des pieds à la tête et mis par-dessus une chemise blanche et fine, un jupon et ma robe de batiste grise, sauf le corsage, que je remplace par un manteau de foulard blanc ... tu sais comme je suis gentille ainsi.
Allons, résignons-nous et avec mes livres je passerai encore agréablement les quelques jours que nous avons à rester ici.
Dis-moi ce que tu fais, raconte-moi les moindres détails de votre existence à Gavronzy.
Je t'embrasse et je te plains.

1876
à sa tante. H?tel de Londres, à Rome, Place d'Espagne, 3 janvier.
Chère tante,
Enfin je suis à Rome, après une nuit exécrable, passée dans un compartiment plein, sur des coussins durs comme du bois, c'était une horreur, mais c'est fini et nous sommes à l'h?tel de Londres, place d'Espagne. Ce qui est atroce, c'est qu'il faut marchander!
Envoyez de suite Léonie avec les choses que nous avons peut-être oubliées. J'ai laissé mon papier à lettres et une bo?te de plumes, expédiez-moi cela. N'oubliez pas mes recommandations touchant les meubles. Envoyez absolument le télégramme à Alexandre, concernant les chevaux, sans y rien changer. Soignez mes chiens.
Je suis très désespérée d'avoir oublié de dire adieu à grand-papa, mais on me pressait tant, on criait, on se heurtait. Dites-lui, chère tante, que je l'embrasse mille et mille fois, que je lui baise les mains et le prie de pardonner cet impardonnable oubli.
J'ai encore peu de choses à vous dire, je n'ai pas vu Rome, mais elle me para?t être une grande machine.
Il y a à peine deux heures que nous sommes arrivées. Demain j'écrirai à tout le monde.
Au revoir.
Soignez-vous et venez pour que mes compagnes d'à présent puissent s'en retourner en paix dans la ville de Catherine Ségurana.
Je vous embrasse mille fois.

à la même,
Chère tante,
Voilà encore une lettre que je vous prie de mettre immédiatement à la poste, affranchie.
Nous sommes toutes bien portantes. Au lieu de rester à la maison, sortez beaucoup, allez partout, et écrivez-moi ce qui se passe partout à Nice.
Embrassez D..., P... et T...
Envoyez Léonie et Fortuné. Envoyez mon ombrelle blanche; elle est, je crois, restée à Nice.
Tachez de nous rejoindre au plus vite.
Venez avec D... P...
Embrassez tout le monde.
Je vous embrasse, je me porte bien.
Au revoir.

à son père.
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